Page:Zola - Vérité.djvu/564

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le rendre à son père, pour nous entendre et tâcher d’en faire un homme… Non, non, je l’emporte.

Louise, elle aussi, s’avança, très tendre et très respectueuse.

— Pourquoi dis-tu que tu resteras seule, grand-mère ? Nous ne voulons pas t’abandonner, nous reviendrons te voir souvent, tous les jours, si tu le permets. Et nous t’aimerons bien, et nous nous efforcerons de te montrer combien nous désirons te rendre heureuse.

Alors Mme  Duparque ne put se contraindre davantage. Le flot de colère qu’elle avait tant de peine à refouler, déborda, l’emporta en furieuses paroles.

— C’est assez ! taisez-vous, je ne veux plus vous entendre ! Et vous avez raison, faites vite vos malles et allez-vous-en, allez-vous-en tous les trois, je vous chasse !… Allez retrouver votre damné, votre bandit qui a craché tant de bave sur Dieu et ses ministres, pour tâcher de sauver l’immonde juif, condamné deux fois !

— Simon est innocent, cria Geneviève, hors d’elle à son tour, et ceux qui l’ont fait condamner sont des menteurs et des faussaires.

— Oui, je sais, c’est l’affaire qui t’a perdue et qui nous sépare. Tu crois le juif innocent, tu ne peux plus croire en Dieu. Ta justice imbécile est la négation de l’autorité divine… C’est pourquoi tout est bien fini entre nous. Va-t-en, va-t-en vite avec tes enfants. Ne souillez plus cette maison, n’attirez pas davantage la foudre sur elle. Vous êtes la cause unique des malheurs dont elle a souffert… Et, surtout, n’y remettez jamais les pieds, je vous chasse, je vous chasse pour toujours. Dès que vous aurez franchi le seuil, ne revenez pas frapper à la porte, elle ne s’ouvrirait pas. Je n’ai plus d’enfants, je suis seule au monde, je vivrai et je mourrai seule.

Et cette femme, de quatre-vingts ans bientôt, redressait sa haute taille avec une énergie farouche, la voix forte