Page:Zola - Vérité.djvu/580

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savoir. Des champs restaient improductifs, certaines récoltes étaient perdues, par manque de soins intelligents. Puis, tout effort paraissait excessif, inutile, et la campagne s’appauvrissait, devenait comme déserte, sous la toute-puissante fécondité du soleil, le dieu de la vie, ignorée et insultée. Surtout depuis le jour où le curé Cognasse avait obtenu de la faiblesse du maire Martineau que la commune fût consacrée au Sacré-Cœur, cette ruine du pays s’était rapidement accentuée. On se rappelait la pompe de la cérémonie, l’instituteur portant le drapeau national, brodé d’un cœur saignant, les autorités endimanchées et présentes, le flot de soutanes accourues de partout, parmi les belles paysannes heureuses de montrer leurs robes neuves. Mais, aujourd’hui, les paysans attendaient encore de ce Sacré-Cœur auquel ils s’étaient donnés, les moissons prodigieuses, dues à une faveur spéciale, écartant la grêle, accordant la pluie et le temps clair en une juste proportion. Un peu plus d’imbécillité pesait seulement sur la commune, une attente endormie de l’intervention divine, la lente agonie du croyant fanatisé, en qui toute initiative a été détruite, et qui se laisserait mourir de faim plutôt que de remuer un bras, si son Dieu ne le nourrissait pas.

Marc, les premiers jours, fut navré de ses quelques promenades dans la campagne, en compagnie de Geneviève, tellement l’abandon et l’incurie, les champs mal tenus, les routes à peine praticables, faisaient peine à voir. Un matin, ils poussèrent à quatre kilomètres, jusqu’au Moreux, et là ils trouvèrent Mignot en train de s’installer dans sa triste école, désespéré comme eux de l’état de misère où le pays était tombé.

— Vous n’avez pas idée, mes bons amis, du ravage fait ici par ce terrible Cognasse ! À Jonville encore, il se soutient un peu. Mais, dans ce village perdu, ses deux cents habitants sont trop avares pour se payer un curé à