Page:Zola - Vérité.djvu/595

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allègrement à pied les quatre kilomètres qui séparaient le Moreux de Jonville. Ces réunions du dimanche étaient pour lui un repos délicieux. Il avait entendu les dernières paroles de Joulic, et tout de suite il parla.

— Ah ! Mlle  Mazeline, vous savez que j’ai voulu l’épouser. Jamais je n’en ai soufflé mot à personne, mais je puis bien le dire à présent… Elle a beau ne pas être jolie, je rêvais d’elle, à Maillebois, en la voyant si bonne, si sage, si admirable. Je lui ai donc parlé de mon idée un jour, et si vous l’aviez vue devenir très grave, souriante pourtant, émue et fraternelle ! Elle m’expliqua très bien sa situation, elle se disait trop vieille déjà, trente-cinq ans, juste mon âge. Puis, ses fillettes étaient devenues sa famille, elle avait renoncé depuis trop longtemps à vivre pour elle. Et je crois bien, cependant, que ma proposition avait remué au fond de son cœur d’anciens regrets, tout un passé douloureux… Enfin, nous sommes quand même de bons amis, et ça m’a décidé à rester garçon, ce qui me gêne parfois au Moreux, à cause de mes écolières, de petites personnes qu’une femme saurait mieux soigner.

Ensuite, il donna, lui aussi, de bonnes nouvelles sur l’état d’esprit de sa commune. Toute la crasse d’ignorance et d’erreur que son prédécesseur Chagnat avait laissé volontairement s’amasser commençait à disparaître. Saleur, le maire, avait eu de grands ennuis, avec son fils Honoré, élevé au lycée de Beaumont, où l’aumônier l’avait bourré de plus de religion que dans un séminaire, à ce point que, nommé à Paris directeur d’une petite banque catholique, il venait d’y culbuter, en frisant la police correctionnelle. L’ancien éleveur retiré, de maquignon devenu bourgeois, déjà peu ami des curés, ne dérageait plus contre ce qu’il appelait la bande noire, exaspéré de cette déchéance de son fils qui le bouleversait dans sa vie cossue de paysan enrichi. Aussi se mettait-il