Page:Zola - Vérité.djvu/645

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trop d’amertume, il ne les aurait pas couverts de tant d’outrages, si, la veille, ils l’avaient laissé puiser dans leurs bourses, afin d’acheter encore son silence.

Marc comprit parfaitement. Le frère Gorgias ne reparaissait, ne surgissait des ténèbres louches où il se terrait maintenant, que lorsqu’il avait mangé les secours obtenus, en crapuleuses distractions. Et pour qu’il fût venu chez lui, ce soir d’hiver, par cette pluie battante, c’était sûrement qu’il avait les poches vides et qu’il comptait tirer un bénéfice quelconque d’une pareille visite. Mais quel bénéfice ? pourquoi cette longue et furieuse plainte contre tous ces hommes dont il se disait n’avoir été que l’instrument docile ?

— Vous habitez Maillebois ? demanda Marc, dont la vive curiosité s’éveillait.

— Non, non, pas Maillebois… j’habite où je peux.

— C’est que je crois vous y avoir vu déjà, avant de vous rencontrer place des Capucins… Vous étiez, je crois, avec un de vos anciens élèves, Polydor.

Un faible sourire détendit la face tourmentée du frère Gorgias.

— Polydor, oui, oui, je l’ai beaucoup aimé. C’était un enfant pieux et discret. Plus tard, comme moi, il a souffert de la méchanceté des hommes. On l’a accusé de toutes sortes de crimes, on l’a chassé, lui aussi, injustement, sans avoir compris sa nature. Et, après mon retour, j’ai été bien heureux de le retrouver, nous avons mis nos misères ensemble, nous nous sommes consolés l’un l’autre, en nous abandonnant aux bras divins de Notre-Seigneur Jésus-Christ… Mais Polydor est jeune, il me traitera comme les autres, voici un mois qu’il a disparu et que je le cherche. Ah ! tout va mal, il faut en finir !

Une plainte rauque lui avait échappé, et Marc frémit, tant le vieil homme ravagé de passions monstrueuses, l’ancien