Page:Zola - Vérité.djvu/77

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— Les enfants ne sont pas là, répondit Savin. Une dame, notre voisine, les a menés à la promenade… Mais ils seraient là, devrai-je les laisser vous répondre, je vous en fais juge ? Un fonctionnaire, en aucun cas, ne peut prendre parti. J’ai déjà assez d’ennuis à mon bureau, sans aller encore accepter des responsabilités dans cette sale histoire.

Et, comme Marc se hâtait de saluer :

— Sans doute, bien que les juifs dévorent notre pauvre France, je n’ai rien à dire contre ce M. Simon, si ce n’est qu’il devrait être défendu à un juif d’être instituteur. J’espère que Le Petit Beaumontais va faire une campagne à ce sujet… La liberté et la justice pour tous, tel doit être le vœu d’un bon républicain. Mais la patrie avant tout, n’est-ce pas ? la patrie seule, quand elle est en danger !

Mme Savin, qui n’avait plus ouvert la bouche, accompagna Marc jusqu’à la porte et l’air gêné toujours, dans sa soumission de femme esclave, supérieure à son dur maître, elle se contenta de sourire divinement. Puis, comme il gagnait la rue, il rencontra les enfants au bas de l’escalier, ramenés par la voisine. La fillette, Hortense, âgée de neuf ans, était déjà une petite personne, jolie et coquette, avec des yeux en dessous, qui luisaient de malice, quand elle ne les voilait pas de l’hypocrite piété, apprise chez Mlle Rouzaire. Mais les deux jumeaux, Achille et Philippe, l’intéressèrent davantage, deux gamins maigres et pâles, maladifs comme le père, dont les sept ans avaient la poussée revêche et sournoise de leur sang pauvre. Ils jetèrent leur sœur contre la rampe, ils faillirent la faire tomber. Et, lorsqu’ils furent montés et que la porte se rouvrit, des cris perçants d’enfant au maillot en descendirent, les cris du petit Léon, réveillé, déjà aux bras de la mère, qui allait lui donner le sein.