Page:Zola - Vérité.djvu/92

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petit cercueil, se trouvaient les camarades de Zéphirin, ayant fait récemment, en même temps que lui, leur première communion. Puis c’était le maire Darras, accompagné des autorités, qui conduisait le deuil. Ensuite, les élèves des frères défilaient au grand complet, ayant à leur tête le frère Fulgence, suivi de ses trois aides, les frères Isidore, Lazarus et Gorgias. On remarqua beaucoup l’importance du frère Fulgence, allant, venant, commandant, poussant son agitation jusqu’à s’occuper des fillettes de Mlle Rouzaire, comme si elles eussent été sous ses ordres. Et il y avait encore des capucins, avec leur supérieur, le père Théodose, des jésuites venus du collège Valmarie, avec le recteur, le père Crabot, des prêtres accourus de partout, une telle pluie de robes et de soutanes, que l’église entière semblait avoir été mobilisée afin de s’assurer un triomphe, en réclamant comme sien ce pauvre petit corps, souillé et ensanglanté, mené en un si beau cortège. Des sanglots éclataient sur tout le passage, des voix furieuses crièrent :

— Mort aux juifs ! mort aux juifs !

Un dernier incident acheva de renseigner Marc, le cœur noyé d’amertume. Il aperçut dans la foule l’inspecteur primaire Mauraisin, venu sans doute de Beaumont, comme la veille, pour se faire une ligne de conduite. Et, au moment où le père Crabot passait, il vit très bien les deux hommes se sourire, échanger un discret salut, en gens qui se comprenaient et qui s’approuvaient. Toute la monstrueuse iniquité, tissée dans l’ombre depuis deux jours, lui apparut sous le ciel clair, pendant que les cloches de Saint-Martin sonnaient, fêtant le pauvre petit mort, dont on allait exploiter la fin tragique.

Mais une main rude s’était posée sur l’épaule de Marc, une voix de rageuse ironie lui fit tourner la tête.

— Eh bien ! mon brave et innocent collègue, qu’est-ce que j’avais dit ? Voilà le sale juif convaincu d’avoir violé