Page:Zola - Vérité.djvu/91

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une vague énorme déferla, pour s’emparer du misérable, le rouler, le déchirer.

— À mort, à mort, le juif !

Vivement, les agents avaient poussé Simon dans la voiture, et le cocher lançait son cheval au grand trot, pendant que lui, sans se lasser, criait toujours, dominant l’orage :

— Je suis innocent ! je suis innocent ! je suis innocent !

Derrière la voiture, tout le long de la Grand-Rue, la foule galopa, hurla plus fort. Et Marc, resté sur la place, étourdi, le cœur angoissé, songeait à la manifestation contraire, aux rumeurs indignées, aux explosions de révolte, qui avaient accueilli la fin de la distribution des prix, chez les frères, l’avant-veille. Deux jours à peine avaient donc suffi pour retourner l’opinion, et il était terrifié de l’adresse incomparable, de la cruelle promptitude avec lesquelles avaient œuvré les mains mystérieuses, qui venaient d’amasser tant de ténèbres. Ses espoirs avaient croulé, il sentait la vérité obscurcie, vaincue, en péril de mort. Jamais encore il n’avait éprouvé une détresse pareille.

Mais le cortège se formait, pour les obsèques du petit Zéphirin. Et Marc vit que Mlle Rouzaire, qui amenait les fillettes de la classe, avait assisté au calvaire de Simon, sans un geste de sympathie, l’air confit en sa dévotion officielle. Mignot, entouré de quelques-uns des élèves, n’était pas venu non plus serrer la main de son directeur, la mine maussade et gênée, souffrant sans doute de la lutte entre son bon cœur et son intérêt. Enfin, le cortège défila, se dirigea vers l’église Saint-Martin, au milieu d’une pompe extraordinaire. Là encore on sentait avec quel soin des mains savantes avaient tout organisé, pour attendrir la population, exalter sa pitié et son besoin de vengeance. D’abord, autour du