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Page:Zola - Vérité.djvu/98

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acte commis par un tel homme, l’homme qu’il connaissait le mieux au monde, un autre lui-même. Il y avait là, pour lui, une certitude, comme la certitude de la lumière, au plein soleil de midi. Mais, malgré sa calme bravoure, il montrait une grande prudence, née du besoin de ne pas nuire à son frère et de la sensation où il était de leur impopularité de juifs. Aussi, lorsque Marc lui dit passionnément son soupçon, la culpabilité nécessaire, certaine d’un des frères de la Doctrine chrétienne, s’efforça-t-il de le calmer, d’accord avec lui au fond, mais désireux qu’on n’abandonnât pas la piste du rôdeur, de l’assassin de hasard entré et sorti par la fenêtre. Il craignait d’exciter davantage l’opinion par une accusation sans preuve, il prévoyait les toutes-puissances coalisées contre lesquelles il se briserait, s’il n’avait en main le fait décisif. Et, en attendant, afin que Simon bénéficiât du doute dans l’esprit de ses juges, pourquoi ne pas reprendre l’hypothèse de ce rôdeur, que tout le monde avait admise, au moment de la découverte du crime ? C’était une base d’opérations provisoire excellente, les frères se trouvant trop avertis, trop soutenus, pour qu’une campagne contre eux ne tournât pas contre l’accusé.

David avait enfin pu voir Simon en présence du juge d’instruction Daix, et tous deux s’étaient senti le même cœur, la même volonté âpre et forte, dans la longue étreinte échangée. Il l’avait revu ensuite à la prison, et les nouvelles qu’il apportait de lui chez les Lehmann étaient toujours les mêmes, un grand désespoir, un continuel et inquiétant travail cérébral pour déchiffrer l’énigme, une extraordinaire énergie à défendre son bonheur et celui de ses enfants. Lorsque David racontait sa visite, en présence de Marc, dans la petite boutique obscure, celui-ci était profondément ému des larmes muettes de Mme Simon, si belle et si douloureuse,