Pauvre Blaise/3

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Librairie Hachette et Cie (p. 24-34).

III

La Réparation et la rechute


Huit jours après, Blaise était dans le jardin avec son père ; ils bêchaient tous deux une plate-bande de salades, lorsque la voix de M. de Trénilly se fit entendre ; il appelait Anfry.

« Me voici, Monsieur le comte, » répondit Anfry ; et il courut vers le comte, qui tenait Jules par la main.

« Anfry, dit le comte, voici Jules qui vient faire ses excuses à votre garçon pour ce qui s’est passé la semaine dernière : votre garçon avait raison, c’est Michel qui a menti ; Jules s’est blessé lui-même, il l’a avoué, et il est bien fâché d’avoir accusé à tort votre garçon ; de peur d’être grondé pour avoir touché la serpe, il a fait un mensonge et une méchanceté, mal conseillé par Michel, que j’ai renvoyé de mon service et qui est retourné dans son pays ; Jules ne recommencera pas, il me l’a bien promis. Jules, va chercher Blaise ; tu le lui diras toi-même. »

Jules alla à pas lents dans le potager où travaillait Blaise ; il était honteux des excuses que son père lui avait ordonné de faire, et il ne savait de quelle manière commencer. Il restait immobile et silencieux devant Blaise, qui le regardait d’un air surpris.

Qu’y a-t-il pour votre service, monsieur Jules ? lui demanda-t-il enfin.

— Rien, répondit Jules.

— Mais puisque vous êtes venu ici près de moi, monsieur Jules, c’est que vous avez besoin de moi.

— Non, répondit Jules.

Blaise.

Alors je vais me remettre à bêcher, sauf votre respect, monsieur Jules. Papa n’aime pas que je perde mon temps.

Jules, avec embarras.

Blaise !

Blaise.

Monsieur Jules.

Jules, très embarrassé.

Blaise !… Je suis venu… Papa m’a dit… Je ne sais pas comment dire… Je veux…, non, je dois… te demander pardon.

Blaise, avec surprise.

À moi, pardon ! et de quoi donc ?

Jules.

Pour l’autre jour…, la serpe… Michel…, tu te souviens bien ?…

Blaise.

Ah ! pour le mensonge ! Tiens, je n’y pensais plus. Je ne vous en veux pas, bien sûr, monsieur Jules, et je suis bien fâché que vous ayez pris la peine de faire des excuses. C’est juste, à la vérité, mais cela coûte, et je vous en remercie. »

Jules, enchanté de se trouver débarrassé de cette tâche pénible, releva la tête, qu’il avait tenue baissée, et, regardant la bonne figure réjouie de Blaise, il lui proposa de venir jouer avec lui au château.

Blaise.

Cela, c’est impossible, monsieur Jules, car papa m’a défendu d’y aller.

Jules.

Pourquoi donc ?

Blaise.

Il dit que ce n’est pas ma place, que je ne dois pas m’habituer à fainéanter, mais à l’aider par mon travail.

Jules.

Oh ! que c’est ennuyeux ! Attends, je vais le demander à papa. »

Jules courut à M. de Trénilly et lui demanda la permission d’emmener Blaise.

Le comte.

Je ne demande pas mieux, mon ami, je suis bien aise que tu joues avec Blaise, qui me semble être un bon et brave garçon.

Jules.
C’est que son père veut qu’il travaille, et ne veut pas qu’il vienne au château.
Le comte.

Son père a raison, mais il lui donnera bien un congé pour terminer votre raccommodement. — Nous donnez-vous Blaise pour l’après-midi, Anfry ; nous vous le renverrons ce soir.

Anfry.

Je n’ai rien à refuser à monsieur le comte, pourvu que Blaise ne gêne pas. Je vais l’amener tout à l’heure, quand il sera nettoyé et qu’il aura changé de vêtements.

Le comte.

Pourquoi faire, changer de vêtements ? Laissez-lui sa blouse ; ce n’est pas fête aujourd’hui.

Anfry.

C’est fête pour lui, monsieur le comte, puisque c’est la première fois qu’il est admis près de monsieur le comte et de M. Jules. Mais, puisque monsieur le comte l’aime mieux ainsi, il ira en blouse. »

Et il alla au jardin, où Blaise bêchait toujours.

« Blaisot, va te débarbouiller les mains et le visage, et donner un coup de peigne à tes cheveux. Tu vas accompagner M. Jules et jouer avec lui au château. »

Blaise rougit, moitié de peur et moitié de plaisir, et courut se débarbouiller au baquet. Quand il fut lavé, peigné, il alla rejoindre Jules et le comte, qui l’attendaient dans l’avenue. Ils marchaient devant ; Blaise suivait ; il n’était pas à son aise, il n’osait parler, et il aurait voulu pouvoir retourner à sa bêche et à son jardin. En arrivant au perron, ils trouvèrent la comtesse avec sa fille qui les attendaient.

« Vous amenez Blaise ! dit la comtesse en s’avançant vers eux. Je suis bien aise de le connaître ; on m’a dit du bien de lui. N’aie pas peur, petit, ajouta-t-elle, Hélène ne te mangera pas, et Jules sera content de jouer avec un garçon de son âge.

— Je n’ai pas peur, madame, dit Blaise ; seulement je ne suis pas à mon aise.

— Eh bien, tu vas t’y mettre en nous aidant à bêcher et à arranger notre jardin, Blaise, dit Hélène avec un sourire aimable. Venez avec moi, Jules et Blaise, et mettons-nous à l’ouvrage. »

Et, passant entre eux deux, elle les prit chacun par la main et courut vers un petit jardin que M. de Trénilly leur avait fait arranger près du château.

« Mais il n’y a rien dans votre jardin, dit Blaise.

Hélène.

C’est précisément pour cela que nous voulons l’arranger : tu vas nous aider.

Blaise.

Qu’est-ce que vous voulez y mettre ? des fleurs ou des légumes ?

— Des fleurs ! s’écria Hélène ; j’aime tant les fleurs !

— Des légumes ! s’écria Jules ! les fleurs m’ennuient.

Hélène.

Des fleurs seraient bien plus jolies et viendraient plus vite.

Jules.

Des légumes sont bien plus utiles ; d’ailleurs, je veux des légumes, et si tu mets des fleurs ; je les arracherai.

Hélène.

Fais comme tu voudras ; je sais qu’il faut toujours te céder.

Blaise.

Pourquoi faut-il que vous cédiez, mademoiselle ?

Hélène.

Pour ne pas être battue par lui et grondée par papa, qui croit tout ce que Jules lui dit.

Jules.

Allons, vite à l’ouvrage ! Bêchez, ratissez, pendant que je vais chercher des graines au jardin. »

Blaise avait envie de résister à Jules et de soutenir Hélène ; mais il n’osa pas, et, prenant une bêche, il se mit à l’ouvrage avec une telle ardeur que le jardin fut retourné en moins d’une demi-heure ; Hélène l’aidait, mais moins vivement.

Jules revint avec un sac plein de graines de toute espèce de légumes.

« Voilà, dit-il, des choux-fleurs, des pois, des radis, des asperges, des navets, des carottes, des laitues, des cardons, des épinards…

Blaise.

Mais, monsieur Jules, tout cela doit être semé sur couche et repiqué quand c’est levé.

Jules.

Du tout, du tout, je ne veux pas ; je veux semer les graines dans mon jardin.

Blaise.

Comme vous voudrez, monsieur Jules ; mais il faudra les attendre bien longtemps.

Jules.

C’est égal, je veux les semer ; j’aime mieux attendre. »

Hélène ne disait rien ; elle était habituée aux caprices de son frère ; sa bonté et sa douceur la portaient à toujours lui céder pour éviter les disputes. Blaise hochait la tête, mais se taisait, voyant Hélène consentir de bonne grâce à sacrifier les fleurs qu’elle avait désirées. Avec sa bêche il fit des traînées de petites rigoles, dans lesquelles Jules semait la graine.

Blaise.
Qu’avez-vous semé par ici, monsieur Jules ?
Jules.

Je n’en sais rien ; j’ai tout mêlé.

Hélène.

Mais comment sauras-tu où sont les radis, les choux-fleurs, les carottes, et le reste ?

Jules.

Je les reconnaîtrai bien en les mangeant.

Hélène.

Mais quand nous voudrons manger des radis, comment les trouverons-nous ?

Jules.

Ah ! je n’en sais rien ! Tu m’ennuies avec tes raisonnements.

Blaise.

Écoutez, monsieur Jules, vous n’êtes pas raisonnable ; ce ne sera pas un jardin, cela ; on n’y verra rien pendant plus d’une quinzaine. Laissez votre sœur y mettre quelques fleurs.

Jules, frappant du pied.

Non, non, non, je ne veux pas ; je n’aime pas les fleurs, et je n’en mettrai pas. »

Hélène était rouge ; elle avait envie de pleurer, Blaise en eut pitié et lui dit :

« Ne vous affligez pas, mademoiselle, je vous arrangerai un autre jardin, et je vous y planterai de belles fleurs toutes venues.

Hélène.
Merci, Blaise, tu es bien bon.
Jules.

Et moi ! je suis donc mauvais, moi ?

Hélène.

Tu n’es pas mauvais, mais Blaise est très bon.

Jules, avec colère.

Je ne veux pas que Blaise soit meilleur que moi ; je ne veux pas que tu le dises.

Hélène.

Je ne le dirai pas si cela te contrarie, mais…

Jules, de même.

Mais quoi ?

Hélène.

Mais… Blaise est très bien. »

Jules se mit à crier, à taper des pieds ; il courut pour battre Hélène ; elle se sauva ; il s’élança sur Blaise, qui esquiva le coup en sautant lestement de côté. Jules tomba sur le nez et redoubla ses cris ; la bonne d’Hélène accourut.

« Qu’y a-t-il ? pourquoi ces cris ?

Jules, pleurant.

Blaise est méchant ; il veut arracher mes légumes pour mettre des fleurs ; ils disent que je suis méchant ; c’est lui qui est méchant, il veut arracher mes légumes.

La bonne.
Pourquoi contrariez-vous M. Jules, et comment osez-vous lui arracher ses légumes, Blaise ?
Blaise.

Je vous assure, madame, que je ne veux rien arracher, et que je ne veux pas contrarier M. Jules. C’est lui-même qui se contrarie.

La bonne.

C’est cela ! toujours la même chanson ! C’est M. Jules qui se fait pleurer lui-même, n’est-ce pas ? »

Blaise voulut répondre, mais la bonne ne lui en laissa pas le temps ; elle le saisit par le bras, le fit pirouetter et lui ordonna de s’en aller chez lui et de ne plus revenir. Blaise partit sans mot dire, se promettant bien de refuser à l’avenir toute invitation du château.