Perverse/12

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Antony et Cie (p. 145-168).

XII

CLOWNERIES

Une nuit, Gaston de Plombières était seul. Il errait le long des boulevards, frôlé par les oisifs comme lui, accosté par des filles de bitume.

Les odeurs de rut qui s’élevaient du trottoir, la nuit étoilée et ses fraîcheurs remuaient sa chair, et réveillaient des désirs qu’il n’avait plus eus depuis déjà longtemps.

Mariette d’Anjou était avec San-Pedro ; la veille. Suzanne de Chantel, agacée par un couturier auquel elle devait une forte somme et que Johnson croyait payé, avait décidé Johnson à faire un tour sur les plages normandes, où le Tout-Paris s’était réfugié quelques jours avant la Fête nationale.

Paula était bien là, elle, à sa disposition, mais il ne l’aimait que lorsqu’il avait l’intention de lui faire des emprunts.

Une fille l’arrêta, au coin de la place de l’Opéra.

— Mon chéri, viens chez moi, je serai très gentille et je ferai tout ce que tu voudras.

Il la regarda, hésita, mais à la pensée qu’il faudrait payer au moins un louis, il se dit :

— Non, attendons que je sois riche. Et puis, elle est laide.

Il traversa la place et suivit la rue de la Paix. Arrivé place Vendôme, il eut envie de reculer, mais l’hôtel Bristol était là, les fenêtres de la chambre de Paula étaient éclairées.

— Tant pis, dit-il. Je m’embêterai encore moins avec elle que de coucher tout seul.

Et il entra.

Après avoir frappé à l’appartement de Paula, il entendit des éclats de rire derrière la porte.

— Tiens, elle n’est pas seule, pensa-t-il.

Mais, ce fut elle-même qui vint ouvrir.

Elle était en chemise, les cheveux aux reins, le regard allumé de rires. Sa gorge apparaissait sous la dentelle et la batiste, et transparente, dessinée sous le voile par la lumière qui la baignait ardemment, elle avait le geste et l’allure des bacchantes qui sont ivres.

Elle était grise, en effet.

— Toi ! dit-elle.

Elle eut un mouvement pour refermer la porte.

— À propos, continua-t-elle, non. Entre, tu vas voir comme il est drôle.

Un homme en caleçon, laid de visage, puissant de corps faisait de l’équilibre sur les mains.

À la vue du marquis, l’homme en caleçon fit une atroce grimace et salua comme font les clowns, au cirque.

Puis, ainsi qu’un véritable singe, extraordinairement agile, il bondit à travers les meubles, fit le saut périlleux par-dessus les fauteuils, retomba les reins au lit, roula sur les tapis, se releva, se disloqua, fit le grand écart, passa sous le lit, revint dessus, s’enroula autour des jambes de Paula, escamota le chapeau de Gaston, éteignit les lumières en tournant le bouton de la communication électrique, s’empara de Paula, la coucha par terre, brutalement ; il bondissait, l’embrassait, grognait, hurlait ; elle bondissait, l’embrassait, grognait, hurlait, sous sa folie ; et lorsqu’ils furent las enfin, devant de Plombières, qui n’en croyait pas ses yeux, l’homme tourna le bouton électrique, et gravement, tragiquement, montrant Paula qui, roulée dans ses cheveux, râlait encore, s’écria :

— Voilà !

Puis :

— Pour avoir, monsieur, l’honneur de vous servir.

À ces mots, Paula fut prise d’un rire fou, elle se releva, superbe de souillure, et, faisant tomber son amant sur un fauteuil, elle se pelotonna sur lui, le corps mêlé à son corps, l’embrassa en pleine bouche, et s’adressant à Gaston de Plombières :

— N’est-ce pas qu’il est extraordinaire ? Qu’en dis-tu ?

Comme il ne répondait pas, abruti :

— Qu’as-tu à rester là comme un piquet en bois ?

Et à son amant :

— Regarde donc, continua-t-elle, a-t-il l’air assez bête !

Alors l’homme en caleçon se redressa, prit la pose du marquis, imita sa physionomie imbécile, tandis que Paula se roulait de joie et d’ivresse et applaudissait de toutes ses forces.

Comme Gaston voulut rire à son tour, l’homme qu’il ne connaissait pas rit de même, imita encore son rire, ses éclats, sa pose changée, exagéra son grotesque, se moqua avec une si extrême insolence que le marquis furieux de l’aventure :

— Je ne comprends pas, monsieur, on dirait que vous vous moquez ! Vous ne me connaissez pas ?

À ces mots, l’autre prit une figure sévère, terrible, et se mettant en position de tireur sur la planche, il se fendit, feignit de parer, pointer, avec une agilité inouïe :

— Volez-vô ? dit-il, avec un accent anglais. Ou bien, ne volez-vô pas ? Very well ! À la lioutte alors ? Nô, au pistoulett ! dans la bedaine à vô. Attention ! Oune… deux… trois… boum ! Crevé comme un chien. Voilà ! Pour avoir, monsieur, l’honneur de vous servir !

Et tout cela à travers les rires de Paula.

Gaston de Plombières haussa les épaules, furieux de ne pouvoir rien répondre et sortit.

Il était à peine dehors que Paula et son compagnon passaient dans une chambre voisine où un souper leur était servi.

Entrée, par hasard, pour voir, au Nouveau-Cirque, Paula avait remarqué un clown qui faisait l’imbécile pour en amuser d’autres. Tout de suite cette idée lui était venue : le prendre pour amant.

Musclé et nerveux, d’une agilité puissante, Freddy avait fait passer d’étranges désirs dans le corps de Paula et dans son cerveau ; avide d’entreprendre et d’éprouver, elle espérait trouver dans cet homme des joies nouvelles.

Elle lui écrivit, il vint à son appel, et prodigua aux yeux de Paula ses trésors d’acrobates, et à sa chair des morsures enflammées.

Longtemps sevré d’amour, Freddy, dont l’engagement au cirque était terminé, pouvait enfin se rattraper des jeûnes pénibles et obligatoires auxquels sont soumis les acrobates.

Et Paula, dès le premier soir, aima le clown et lui fut reconnaissante des sensations neuves qu’elle avait cueillies sous son baiser glouton, dans ses bras puissants et rudes.

Mais le lendemain, de San-Pedro auquel de Plombières avait tout conté, vint trouver Paula.

— Je ne vous comprends pas, mon amie, dit-il. Votre folie est arrivée à un degré tel que la plus élémentaire convenance…

— Je veux dire que lorsqu’on est la fille d’un Johnson et ma femme, on ne s’abaisse pas à prendre pour amant des ordures. Je sais que vous ne m’aimez pas, je sais que vous ne m’avez jamais aimé, je vous le rends ; mais je ne vous permettrai pas d’être ridicule. Que vous ayez des amants dignes de vous, soit ; mais des saltimbanques de trente-sixième ordre, je le défends.

— Et…

— … Je le défends.

— Vous me le défendez, vous ! Ah ! vous me défendez quelque chose, vous ! Eh bien ! monsieur, pour bien vous montrer que je me moque de vous, je garderai Freddy pour amant, malgré vous. Et si vous avez honte de voir votre femme être la maîtresse d’un saltimbanque qui lui plaît, le divorce existe. Je n’ai plus besoin de vous. Ah ! vous me défendez d’avoir les amants que je choisis ! De quel droit, s’il vous plaît ?

— Je suis votre mari.

— Oui, mais vous êtes un mari stupide qui devriez être assez intelligent pour avoir vu que je ne suis pas une femme qui obéit quand on lui commande. La fille de Johnson, monsieur, sait fort bien ce qu’elle fait, et quelles que soient les excentricités auxquelles elle s’amuse, elle défend à quiconque, et à son mari surtout, d’y fourrer le nez.

— C’est ce que nous verrons.

— Si vous le voulez.

— Votre père…

— Laissez mon père tranquille, je vous prie. Et votre maîtresse, monsieur, cette petite que vous étalez partout, est-elle de si noble origine ? Il serait logique cependant que vous ne fussiez pas plus exigeant pour mes amants que vous ne l’êtes pour vos maîtresses.

— C’est une jeune personne convenable.

— Freddy est très convenable, aussi.

— Vous êtes folle, ma chère, et je vous plains. Il y a assez d’hommes qui seraient heureux d’être choisis par vous, et avec lesquels il ne serait pas déshonorant d’avoir des relations…

— Ils sont bêtes, tandis que Freddy me faire rire et m’amuse. Je le garde.

— Vous ne comprenez donc pas que tout le monde vous montrera au doigt ? partout on dira que vous êtes une folle érotique à laquelle il faut des singes pour amants…

— À qui donc regarde ce qui se passe chez moi ?

— À tout le monde, vous dis-je. D’ailleurs, prévenez cet homme que si je le rencontre dans cet hôtel, je lui casserai la figure.

— Des menaces ! Sortez, monsieur, sortez, immédiatement. Vous entendez ? Sortez ! ou j’appelle…

Elle se tut un instant. Et toute sa colère tombée :

— Vous n’êtes qu’une bête, dit-elle ; je ne veux même pas me fâcher.

Alors, se levant, elle ouvrit la porte qui communiquait avec sa chambre à coucher, et, à clé, la referma sur elle, laissant seul et stupide de San-Pedro.

Aussitôt Paula télégraphia pour appeler Freddy.

— Nous dînerons ce soir chez Cubat et, après, nous irons au concert, lui dit-elle quand il fut là.

Et elle lui raconta la scène qu’elle avait eue avec son mari.

— Je t’ai, je te garde. Si tu ne lui plais pas, je t’aime, moi.

Elle était assise sur le tapis, aux côtés du clown. Elle le caressait, ses bras autour de son cou, et cherchait du plaisir en buvant des baisers à ses lèvres.

Disposée à toujours l’aimer, elle s’efforçait de le trouver beau. Elle aidait l’esprit gouailleur de l’homme et se réjouissait d’un gros mot frisant l’ordure.

— Tu m’aimes ? demanda-t-elle.

— Je t’aime, cocotte, répondit-il.

Et s’écroulant dans un même désir, s’unissant pour la volupté, ils eurent le plaisir cherché, de toute la force de leurs êtres accouplés.

Chez Cubat, les yeux dans les yeux, vingt fois ils eurent envie de s’empoigner devant les quelques dîneurs. Au concert, dans leur loge, ils eurent des baisers.

Fouaillés aux sens, ils rentrèrent à l’hôtel de bonne heure. Ils ne pouvaient plus se regarder sans être prêts à bondir dans les bras l’un de l’autre.

Et Freddy la chatouillait en montant l’escalier ; il y eut sur un palier, dans une étreinte, presqu’une prise de possession.

Un domestique qui montait derrière eux toussa deux ou trois fois pour ne pas les surprendre et pour les arrêter.

Paula prit le bras du clown et, lourde, se laissa entraîner.

Elle aurait voulu que le plaisir n’eut pas eu le moindre retard. Elle souffrait de l’attendre, l’espace de monter un escalier.

Dans leur chambre, tout de suite, ils se prirent.

Mais, hélas ! ce qui devait arriver fatalement, arriva bientôt.

L’esprit de Freddy était comme ses culbutes. Il avait un répertoire exigu et bientôt il ne fit plus que se répéter. Paula s’en lassa, et elle cherchait le moyen de s’en débarrasser lorsqu’elle reçut cette lettre de son mari :

« Ma chère Paula,

« Depuis notre sotte entrevue où il vous a plu d’être si peu raisonnable, j’ai beaucoup souffert dans mon amour-propre.

« J’ai eu tort d’avoir essayé de vous commander, c’était aller contre votre nature, rebelle à tout ordre, et vous exciter à conserver cet amant indigne qui satisfait votre caprice.

« Votre père qui revient dans quelques jours des bords de la mer doit ignorer cette équipée ; je vous en prie, ne vous obstinez plus à vouloir lutter avec le ridicule, votre père en serait très mécontent, pour vous surtout.

« Je suis persuadé que lui n’hésitera pas un seul instant à brûler la cervelle à votre amant, la première fois que celui-ci se laisserait surprendre en votre compagnie.

« Pour éviter tout scandale et tout ennui, soyez donc sage.

« J’ai voulu simplement vous prévenir, etc., etc. »

Comme Freddy lui pesait, elle lui montra la lettre.

— Tu crois qu’en effet ton père me tuerait ?

— Oh ! certainement ! répondit-elle ; mais que t’importe, mon Freddy aimé ? Reste avec moi quand même jusqu’au bout.

Naturellement, le soir même, Freddy qui ne tenait pas du tout à aller « jusqu’au bout » déguerpissait, fermement décidé à ne plus revenir.

Johnson était rentré à Paris avec Suzanne de Chantel.

— Eh bien ? demanda le marquis de Plombière à Suzanne, lorsqu’il fut seul avec elle.

— Tiens, mon cher, j’avais cru… j’avais espéré que je ne te verrais plus.

— Tu étais dans une erreur… profonde.

— Oui, très profonde, comme tu dis, malheureusement.

— Tu n’as pas la mémoire des traités d’affaires, ma chère, et si je n’étais pas là pour t’en faire souvenir…

— Je les oublierais avec un rude plaisir.

— Aussi…

— Tu me dégoûtes. Je ne puis plus te voir.

— Comme c’est drôle ! Et moi qui veux te voir, moi qui impatiemment t’attendais.

— Tu n’as plus le sou ?

— Ce n’est pas la misère, c’est à peine… l’aisance.

— Écoute, Gaston, je te fais un marché… Combien veux-tu que je t’achète ton absence à perpétuité. Là ! combien veux-tu, comptant, et tu me débarrasses, et je ne te vois plus ?

— Cette chère mignonne ! Tu me donnerais les plus beaux millions du monde que je n’accepterais jamais. Tu vaux mieux que des millions… parce que tu es une rente viagère établie sur un capital de première valeur ; j’ai confiance dans les actions que j’ai mises sur ta peau, ta jolie peau d’Espagnole, née à Marseille. Mais, oui, ma Suzon, je te garde. Ah ! le jour où je t’ai dénichée, j’ai fait une riche affaire ; cependant, avoue-le, j’ai rudement fait fructifier ton capital. Tu m’as presque fait commettre des bassesses.

Suzanne se laissait embrasser, caresser, sans répondre aux caresses ni aux baisers.

— Pourquoi fais-tu la dinde, Suzon ? Sois donc gentille avec ton marquis…

— Laisse-moi.

— Oh ! pour un retour des bords de l’eau !… Ça t’a peut-être agacée de respirer l’air de la marée, ça te rappelait l’odeur de la halle du Vieux-Port à côté de laquelle tu as autrefois turbiné.

— Non, ça me rappelait ton parfum à toi, et chaque fois que je voyais des maquereaux verts, je pensais que j’en remorquais un à mes trousses que je serais bien heureuse de lâcher.

— Suzon, je répète ce que j’ai dit plus haut, tu n’es qu’une dinde.

— Et toi, un maquereau, fit-elle simplement.

— Une dinde doublée d’une morue.

Et il lui laboura le bas des reins avec un grand coup de pied.

— … Triplée d’une grue, continua-t-il. en lui allongeant une gifle à tour de bras.

Suzanne saisit le couvercle de son bidet qui était à portée de sa main et le lui lança par la figure.

— Cochon ! s’écria-t-elle, attrape !

Puis, elle s’arma d’une chaise, prête à se défendre. Alors, à travers les barreaux de la chaise qu’elle tenait à la hauteur de son visage, ce fut une pluie de paroles grasses, une déjection continue d’ordures,

Il s’était assis, en face d’elle, sur une chaise longue, et la laissait dire, ricanant.

Tout à coup, — Suzanne avait cessé de se tenir en garde — il se précipita sur elle et la jeta par terre.

— Ah ! tu as soupé de ma fiole ! je te dégoûte ! Eh bien ! je vais te la défoncer, moi, ta fiole, je vais le crever ton ventre de salope, ton ventre à tout faire !

Maintenant, il ne parlait plus, mais les coups pleuvaient dru, et dans la chair rendaient un son mat.

Il la tenait, un genou sur la poitrine, et frappait avec son poing.

— Si ça ne se voyait pas, tiens, comme je te pocherais l’œil ! Mais ta gueule, c’est ton gagne pain, et je la respecte.

Suzanne était réellement de celles qui aiment être battues ; car, à un moment où Gaston se courbait sur elle le poing levé, elle lui jeta les bras autour du cou et, se soulevant autant qu’elle le put, elle noua ses lèvres aux lèvres de la brute, et, lui souriant, de ses belles lèvres, humides des larmes qui coulaient de ses yeux noirs, elle lui demanda le bonheur.

Le dernier coup de poing s’allongea dans une caresse.

Après qu’ils se furent aimés, ils constatèrent le nombre de noirs qui seraient des bleus le lendemain. Les magnifiques épaules de la femme étaient toutes violacées, elle avait mal dans les bras ; ils trouvèrent aussi une poignée de cheveux qu’il avait arrachés.

— C’est dommage, dit Suzanne en riant, ces pauvres cheveux… Tiens, prends-les, tu les mettras dans un médaillon.

Elle devenait sentimentale, généralement, après chaque tripotée.

Comme elle se coiffait, cambrée, les bras en l’air, elle dit à Gaston qui fumait une cigarette :

— J’aurais jamais cru qu’un homme aurait été assez canaille pour avoir le courage de vous flanquer de pareilles raclées. Tu avoueras que tu n’es qu’un sale muff ! Regarde mes bras. Que va dire Johnson ?

— C’est une belle occasion pour l’envoyer promener ce soir et toute la semaine, et je le remplacerai, avantageusement.

— Et ta planche ?

— Quelle planche ?

— Paula, parbleu !

— Elle est en ce moment avec un clown. J’ai honte d’avoir un pareil successeur, et je ne remettrai plus les pieds chez elle. D’ailleurs, te voilà, je réclame une place à la table de ta chair.

— Oh ! la la ! Voilà qu’il fait des phrases, et tout à l’heure il me traitait comme une ordure ! T’as pas fini ?

Puis, très enjouée, sans rancune, elle courut à lui, mit ses bras autour de la tête de son amant, et, après un baiser sur chacun des yeux :

— Non, fais-en des phrases, encore…

— Des phrases utiles, soit. Es-tu contente de Johnson ?

— Peuh ! ça ne devient pas intéressant du tout, il donne tout ce qu’on veut, sans même montrer que ça l’embête de donner.

— Alors ?

— Ça va bien,

— Et moi, je n’ai plus de galette.

— On en donnera à son chéri.

— Qu’as-tu fait, là-bas ?

— Je me suis em…bêtée, tu vois, je phrase, à vingt-cinq louis du quart d’heure. Rien que des enflés, pas dessalés pour un radis. Pas moyen de penser même à faire un béguin, pour m’amuser un peu.

— Et tu as été fidèle… ?

— À Johnson ? oui. Oh ! bien malgré moi, mais, tu sais le proverbe : Quand y a pas de rigolots, y a pas de rigolade.

Elle entendit une voiture s’arrêter, dehors, en face de son hôtel.

— Regarde, dit Suzanne… Qui ?

— La voiture au singe.

— Alors, mon petit, trotte-toi là-haut, qu’il ne te voie pas, qu’il ne te soupçonne pas, si tu veux que je m’en débarrasse. Il est jaloux comme un matou.

Ils s’embrassèrent.

— À tout à l’heure, je vais l’expédier.

De Plombières, monta à l’étage supérieur, Suzanne revêtit une robe de chambre et se coucha sur une chaise longue, la tête sur les coussins.

Dix minutes plus tard, Johnson repartait en effet, fuyant la migraine terrible dont s’était plainte Suzanne, et les redoutables conséquences de ce mal, qu’il avait déjà essuyées, et dont il se souvenait avec une terreur véritable.

Et pendant qu’il descendait l’escalier elle hurlait à tue-tête :

Cocu, cocu mon père,
C’est la faute à ma mère,
Si mon père est cocu,
C’est qu’elle l’a bien voulu !