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Perverse/15

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Antony et Cie (p. 207-215).

XV

MASSAGE

Les événements passaient autour de Paula, sans qu’elle daignât leur porter le moindre intérêt.

Abandonnée à sa Ketty, tout entière, elle sortait par les après-midi de la fin de l’automne, allait au Bois, marchait et courait avec l’enfant dans les allées, heureuse d’être seule avec la petite qui grandissait, était fraîche et belle et faisait dire aux passants charmés :

— Est-elle mignonne !

Johnson était parti en Angleterre avec Suzanne de Chantel ; de San-Pedro s’abrutissait et abrutissait Mariette d’Anjou de voluptés renouvelées ; quant au marquis de Plombières, absolument isolé, riche comme il l’avait voulu, depuis que Suzanne lui avait donné vingt-cinq mille francs, et qu’il avait pu tirer de Mariette, avec des menaces, cinquante autres grands billets, il cherchait l’inconnue qui voudrait bien demeurer sa maîtresse à lui, celle qu’il garderait et qu’il entretiendrait.

Tout le monde était donc heureux. Paula était la plus doucement heureuse de tous.

Jamais il ne lui revenait en mémoire qu’elle avait eu des amants, elle avait oublié l’ancienne vie pour entrer dans la vie nouvelle à la main de Ketty. Elle l’épiait pour constater sa croissance, pour être le témoin de sa fine beauté, pour entendre les premiers mots qui gazouillaient dans sa bouche rose, pour assister à ses petits cris d’enfant que tout étonne et qui a peur de tout.

Elle la conduisit au cirque, aux matinées, et les acrobates qui gesticulaient dans l’arène ou sur la scène ne la faisaient pas se souvenir qu’elle s’était donnée à quelqu’un de ces ridicules et grotesques individus.

Il semblait que l’émotion d’un jour avait brisé sa nervosité pour l’avoir exagérément tendue.

L’hiver venu, elle ne sortit guère. Ou bien, dans son coupé bien clos, avec Ketty, emmitouflée de fourrures, quelquefois, par le soleil, elle allait à Longchamps.

Un jour, son mari vint voir Paula et l’informer qu’il partait pour l’Italie.

Elle apprit par lui que son père y était déjà avec Suzanne.

Paula eut comme une augmentation de joie à cette nouvelle qui la faisait plus seule encore.

Et quand de San-Pedro l’eut quittée, elle prit dans ses bras Ketty, la serra étroitement sur son cœur et goulûment l’embrassa.

Cependant, elle se trouvait lasse, abattue, faible. Elle aimait rester de longues heures étendue sur sa chaise longue ou demeurer couchée tard, le matin dans son lit.

Elle s’était apâlie aussi, ses yeux s’étaient agrandis dans son visage émacié.

— Pourquoi suis-je faible ? demanda-t-elle au docteur qu’elle fit appeler. On dirait que je suis malade de quelque chose qui ne fait pas souffrir, car je ne souffre pas.

Après l’avoir visitée, le docteur constata un peu d’anémie et prescrivit de l’exercice, des frictions, le massage.

— Je connais un excellent masseur, lui dit-il, je vous l’enverrai.

En effet, le lendemain matin un homme était introduit dans la chambre de Paula.

— C’est moi le masseur, dit-il, avec un sourire horriblement obséquieux ; et, madame, continua-t-il, je viens prendre vos ordres.

— Eh bien ! massez-moi, monsieur.

— Tout de suite ?

— Naturellement.

— Comme il vous plaira, madame.

Il se fit apporter de la fécule, quitta son paletot, retroussa les manches de sa chemise au-dessus du coude, et quand il fut prêt et que la femme de chambre de Paula eut aidé cette dernière à se mettre nue, il commença.

Il pétrit et frictionna les bras, les seins, le ventre, les reins, les cuisses, les jambes de Paula, électrisant sa chair assoupie, réveillant le sang engourdi dans ses veines, et semant la vie, à poignées, à travers le corps que ses mains pressaient et réchauffaient.

Et l’homme, debout, penché sur elle, comme un lutteur sur un adversaire, soufflait ; son front était couvert de sueur. On eût dit que ses efforts portaient une recrudescence de vie dans le corps de la jeune femme.

Elle le regardait, suivait ses mains et ses bras musclés. Lorsqu’il eut terminé le massage :

— Je crois, madame, que tous les deux jours seulement…

— Non, non, dit-elle, revenez demain.

Malgré les efforts qu’elle fit pour chasser ce masseur de son esprit, tout le jour elle y songea.

Paula ne s’expliquait pas la cause de cette obsession et, dix fois, elle eut envie de le faire prévenir de n’avoir plus à venir auprès d’elle.

La nuit, elle dormit mal, elle pensait toujours à cet homme qui l’avait empoignée dans sa chair, avec ses mains, qui l’avait triturée comme une loque.

Réveillée de bonne heure, ce fut avec impatience qu’elle l’attendit et elle fut heureuse quand il entra.

Elle renvoya sa femme de chambre pour être seule avec lui. Et ce fut lui qui l’aida à retirer sa chemise. Il fit comme la veille, mais avec moins de rudesse. Son travail eut plus de caresses. Sa friction fut plus onctueuse, plus lente, plus pénétrante et plus douce. Il s’attarda plus longtemps aux seins petits de Paula, à ses seins qu’elle aimait parce qu’ils n’étaient venus qu’avec Ketty. Elle lui sut gré de ces caresses.

Aussi, penché davantage sur elle, il semblait étudier davantage son corps et lui donner plus de soins gentils.

Comme il lui massait les reins et les épaules, elle poussa un cri aigu qui finit dans un rire, le masseur avait touché un point sensible à la hauteur de la ceinture.

— C’est la bosse d’amour, madame.

Elle ne lui en voulut point de son impertinence. Elle ne lui en voulut pas non plus des regards dont il la couvrait, et elle fut presque heureuse, lorsqu’il la couvrit de sa chemise, de sentir ses mains passer et repasser sur ses reins et sur ses épaules ; et pourtant, la séance de massage était close.

Quand il prit congé, elle lui tendit les mains et dit :

— À demain, au revoir.

Elle fut très énervée toute la fin du jour. Ketty eut le don de l’agacer, et plus tôt que de coutume, elle la rendit à la nourrice.

Elle ne parlait presque pas, mais elle songeait, mais elle rêvait.

Elle le revit en songe, la nuit, en train de la masser. Elle sentit les caresses de ses mains la posséder. Très tard, réveillée en sursaut, elle s’empressa de faire ses ablutions, et inonda son corps de parfums, puis elle chercha une pose jolie et séduisante, pour attendre.

De loin, elle lui sourit et tendit la main.

Ils étaient seuls encore.

Au moment de commencer :

— Non, dit-elle en se couvrant le visage de ses deux beaux bras blancs.

Et comme il la regardait :

— Non, répéta-t-elle sans cesser de cacher son visage, non, non…

Puis, tout à coup écartant ses bras, elle le fixa et lui sourit comme seulement sourient les femmes qui mendient un peu d’amour, beaucoup d’amour.

Il s’était penché un peu sur elle, sans parler, elle referma ses bras sur sa tête et l’attira jusqu’à sa bouche, sur sa bouche.

— Vous me masserez demain, dit-elle encore de sa voix devenue très douce.

Elle était étendue sur son lit, et, de tout son corps, souriait au mâle.

Ses yeux brillaient de désirs, sa poitrine se soulevait sous l’effort de longs soupirs, et ses deux petits seins, droits sur leur marbre, pointaient leurs fleurettes en l’air comme deux yeux chargés de regards roses.

Et l’amant de tout à l’heure semait des caresses savantes, des caresses pleines de frissons voluptueux, sur les bras et la pâleur du corps offert, et tandis qu’elle fermait ses yeux pour l’attente de la joie, il la prit et elle l’aima.

Une heure après, lorsqu’il lui dit adieu, durant les derniers baisers :

— À demain ? demanda-t-elle tout bas.

— À demain, répéta-t-il.

— Encore, Robert ? — il lui avait dit son nom.

— Oh ! c’est le meilleur massage… oui, encore…

Quand il fut parti, Paula s’endormit du bon sommeil qui répare et repose, et tout le long du jour, avec Ketty, elle chanta des rondes d’enfants.