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Quinet, Œuvres complètes/Napoléon/Le Chamelier

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Napoléon/Le Chamelier
Prométhée, Napoléon et Les EsclavesPagnerre, Libraire-éditeurŒuvres complètes, Tome 7 (p. 204-205).
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XIV

LE CHAMELIER

 
Le soir le chamelier, en menant sa chamelle,
Chante son chant de nuit, quand le ciel étincelle.
" Allah ! Voici la nuit. Là-bas comme un sultan
Le minaret se lève aux échos du tam-tam.
Allah ! Voici le jour ! Le désert se réveille
Et demande au lion si le pacha sommeille.
Arabes, mamelouks, allons, suivez mon chant ;
Plus vite il faut courir que la grêle en un champ.
Dans le crâne des francs vous trouverez à boire.
Pour vous désennuyer, je sais plus d’une histoire.
Laquelle voulez-vous ? -Une histoire de sang,
D’une tête coupée et d’un sabre de franc.
—Donc de Bounaberdi, le lion sans crinière,
Écoutez la merveille, et cherchez sa tanière,
Lions de Barbarie ! Il est né sur un roc,
Dans une île enchantée où passe le siroc.
Son ombre fait mourir, et sitôt qu’il se lève,
La vague d’Aboukir sanglote sur sa grève.
Oui, de Bounaberdi, du sultan sans turban,
Écoute le miracle, arabe du Liban !
Ses femmes au harem sont quarante batailles
Qui le suivent partout avec leurs funérailles ;

Et ses eunuques noirs dont le poignard reluit
Sont plus de cent combats qui veillent dans sa nuit.
Son calumet ambré n’a point d’autre fumée
Que celle de son nom et de sa renommée.
Sur son sabre luisant son coran est écrit ;
Sa cavale est ailée ainsi que son esprit.
Comme dans sa mosquée il entre en son orgueil
Sans frapper de son front le pavé ni le seuil.
Ces villes dans le sable où la cigogne habite,
Ces vieux murs de mille ans où l’épervier s’abrite,
Sont les tours du sérail qui cache son trésor.
Les géants dans la nuit, aux palais de Luxor,
Ont fait ces escaliers pour qu’il monte à sa cime,
Ceux-là pour qu’il descende au fond de son abîme.
Heurtez, foulez du pied ces restes de cités.
Si vous pouviez entrer en leurs murs enchantés,
Comme auprès d’un trésor on trouve une veilleuse,
Vous verriez de ses jours la lampe merveilleuse ;
Et de leurs siéges d’or tous ses rêves de roi
Se lèveraient soudain, et diraient : " Ouvrez-moi ! "
Assez ! Le soleil luit ; je ne sais plus d’histoire,
Et de Bounaberdi voici la tente noire.
Là, sous sa pyramide, il la heurte du front.
Le sable écrit son nom : tes pas l’effaceront,
Lion de Barbarie. Allons, cours sur ta proie ;
Va ronger de ta dent son orgueil et sa joie.