Salaires, prix, profits/8

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Traduction par Charles Longuet.
V. Giard et E. Brière (p. 62-65).
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VIII
Production de la plus-value

Maintenant, supposons qu’il faille six heures de travail moyen pour produire la quantité moyenne de choses nécessaires chaque jour à un travailleur. Supposons, en outre, que six heures de travail moyen soient contenues dans une quantité d’or égale à 3 schellings. Alors 3 schellings sera le Prix, ou l’expression monétaire de la Valeur journalière de la Force de travail de cet ouvrier. S’il travaille six heures par jour, il produira chaque jour une valeur suffisante pour acheter la quantité moyenne de sa consommation journalière en objets de première nécessité, c’est-à-dire ce qu’il lui faut pour se conserver comme travailleur.

Mais notre homme est un travailleur salarié. Il lui faut donc vendre sa force de travail à un capitaliste. S’il la vend 3 schellings par jour ou 18 schellings par semaine, il la vend à sa valeur. Supposons-le ouvrier fileur. S’il travaille six heures par jour, il ajoutera chaque jour au coton une valeur de 3 schellings. Cette valeur chaque jour ajoutée par lui sera l’équivalent exact de son salaire, ou le prix de sa force de travail, reçu tous les jours. Mais dans ce cas aucune plus-value, absolument aucun surproduit ne reviendrait au capitaliste. Ici nous voilà donc arrêtés.

En achetant la force de travail de l’ouvrier et la payant à sa valeur, le capitaliste, comme tout autre acheteur, a acquis le droit de consommer ou d’employer la marchandise achetée. On consomme ou l’on emploie la force de travail d’un homme en le faisant travailler, comme on consomme ou l’on emploie une machine en la faisant fonctionner. En achetant la valeur journalière ou hebdomadaire de la force de travail de l’ouvrier, le capitaliste a donc acheté le droit de se servir de cette force, de la faire travailler pendant toute la journée ou toute la semaine. La journée ou la semaine de travail a, bien entendu, certaines limites, mais nous y regarderons de plus près par la suite.

Pour l’instant je veux appeler votre attention sur un point décisif.

La valeur de la force de travail est déterminée par la quantité de travail nécessaire pour la conserver ou la reproduire, mais l’usage de cette force de travail n’est limité que par l’énergie agissante et la vigueur physique du travailleur. La valeur journalière ou hebdomadaire de la force de travail est tout à fait distincte de l’exercice journalier ou hebdomadaire de cette force, de même que la nourriture dont un cheval a besoin et le temps qu’il peut porter son cavalier sont choses distinctes. La quantité de travail qui limite la valeur de la force de travail de l’ouvrier ne constitue en aucune façon une limite à la quantité de travail que sa force est capable d’accomplir. Prenez l’exemple de notre fileur. Nous avons vu que, pour reproduire quotidiennement sa force de travail, il lui faut quotidiennement reproduire une valeur de trois schellings, ce qu’il fait en travaillant six heures par jour. Mais cela ne le rend pas incapable de travailler dix ou douze heures par jour ou même davange. Mais en payant la valeur journalière ou hebdomadaire de la force du travail du fileur, le capitaliste a acquis le droit de s’en servir pendant toute la journée ou toute la semaine.

Il fera donc travailler le fileur, mettons douze heures par jour. En outre et en sus des six heures qu’il faut pour produire son salaire ou la valeur de sa force, l’ouvrier aura donc à travailler six autres heures que j’appellerai heures de surtravail, lequel surtravail se réalisera en une plus-value et un surproduit. Si notre fileur, par exemple, au moyen de son travail journalier de six heures, ajoutait trois schellings de valeur au coton, valeur qui formait l’équivalent exact de son salaire, il ajoutera, en douze heures, six schellings de valeur au coton et produira un surplus proportionnel de filés. Comme il a vendu sa force de travail au capitaliste, la totalité de la valeur ou du produit qu’il a créés appartient au capitaliste, possesseur temporaire de sa force de travail. En déboursant trois schellings, le capitaliste réalisera donc une valeur de six schellings, puisque, déboursant une valeur dans laquelle six heures de travail sont cristallisées, il recevra en retour une valeur dans laquelle l’auront été douze heures de travail. Par la répétition quotidienne de ce mouvement, le capitaliste déboursera tous les jours trois schellings et en empochera six, dont la moitié servira à payer un nouveau salaire et dont l’autre moitié formera la plus-value pour laquelle le capitaliste ne paye aucun équivalent. C’est sur cette sorte d’échange entre le capital et le travail qu’est fondée la production capitaliste, le salariat, et ce qui doit forcément en résulter, c’est la reproduction constante de l’ouvrier comme ouvrier, et du capitaliste comme capitaliste.

Le taux de la plus-value, toutes autres circonstances restant les mêmes, dépendra de la proportion existant entre cette partie de la journée de travail qui est nécessaire pour reproduire la valeur de la force de travail et le temps supplémentaire de cette journée ou le surtravail exécuté pour le capitaliste. Il dépendra, par conséquent, du degré de prolongation de la journée au-delà de la durée pendant laquelle l’ouvrier, en travaillant, ne ferait que reproduire la valeur de sa force de travail, c’est-à-dire rembourser son salaire.