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Soliloques sceptiques/Soliloque IX

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NEUVIÉME SOLILOQUE.


S
I la Beauté a eu des adverſaires qui l’ont meſpriſée, ce n’eſt pas merveille que quelques-vns aient pris plaiſir à preferer vne caduque vieilleſſe aux impetuoſitez d’vne bouillante jeuneſſe. Car quoique le vieil Caton[1] n’approuvaſt pas le proverbe déja vſité de ſon tems, qu’on ſe devoit rendre vieil de bonne heure, afin de l’eſtre long-tems, ce qui ſemble donner de l’avantage à l’âge avancé ſur celui qui l’a precedé ; il eſt pourtant vrai que ſes devanciers, & ceux qui ont veſcu depuis luy, ſe ſont declarez pour le proverbe contre le ſentiment de Caton. J’avouë que la jeuneſſe a des emportemens qu’on ne ſçauroit aſſez condamner, ce qui a fait qu’Ariſtote n’a pas feint d’eſcrire[2], que contrevenant au precepte du ſage Chilon, les jeunes gens font toutes choſes avec excés, omnia nimis agunt. La moderation des vieillards a quelque avantage pour ce regard, quoique Saint Baſile[3] ait prononcé contre elle, qu’elle eſtoit plûtoſt vne impuiſſance de continuer les deſordres de la jeuneſſe, qu’vne vraie temperance : Temperantia in ſenectute, non temperantia eſt, ſed laſciviendi impotentia. C’eſt vne triſte choſe d’avoir recours à la Fable, pour dire que les Cignes blancs qui tirent le char de Venus, ſignifient qu’elle n’eſt pas ennemie des teſtes blanches, qui peuvent encore ſe faire agreer. On dit de meſme à l’avantage des femmes qui ſont avancées dans l’âge, qu’il y a des animaux qui meſpriſent les jeunes femelles, & leur preferent les vieilles. Ariſtote l’aſſeure en ces termes[4] : Arietes primùm vetuſtiores oves ineunt, novellas enim minùs perſequuntur. Pour moi qui me ſuis aſſez declaré là-deſſus, devant que j’euſſe paſſé la grande année climacterique, je fais peu de cas de toutes ces obſervations, & je trouve bien plus conſiderable la belle & elegante deſcription que nous fait Juvenal dans ſa dixiéme Satyre des imperfections de la vieilleſſe, qui me font ſouſcrire au mot de Seneque le Tragique[5],

Rarum eſt felix idemque ſenex.

L’honneur que beaucoup de Nations ont deferé au grand âge, a eu ſes raiſons : mais comme s’eſcrie Auſone[6] ſur cela,

Quid refert ? Cornix an ideo ante Cygnum ?

Les tenebres ſont plus anciennes que la lumiere, qui voudroit les luy preferer pour cela ? Je me ſuis trouvé il y a peu de jours avec vn Macrobie ſi impertinent, qu’il me confirma dans l’opinion où j’ay toûjours eſté, qu’on peut retourner en enfance par caducité, & devenir comme celuy dont je parle, Senex bis puer, ter fatuus, quater improbus. D’ailleurs, il n’y a rien de plus miſerable qu’vn vieillard, qui n’a rien dont il ſe puiſſe vanter, que d’avoir eſprouvé vne infinité d’adverſitez, & de s’eſtre veu comme il eſt encore, ſemblable à la Fourmi de Virgile[7],

   Inopi metuens Formica ſenectæ ;

ce qui plonge dans vne infame avarice, parce que, ſelon le dire des Italiens, quanto più l’vccello è vecchio, tanto più mal volontieri laſcia la piuma. Si le nom de Senateurs a eſté honorable à Rome à cauſe de leurs longues années, quòd ſeniores ; & ſi celuy de Seigneur en France procede d’vne meſme origine, il ne faut pas laiſſer de tomber d’accord, qu’il n’y a que les belles actions, au cas que nous ayons eſté aſſez heureux pour en produire, qui nous puiſſent rendre dans la Vieilleſſe plus conſiderables que les jeunes gens. C’eſt le fondement de ce beau mot d’Ovide eſcrivant à Livia ſur la mort du jeune Druſus ſon fils :

Acta ſenem faciunt, hæc numeranda tibi.

Le reſte qui accompagne noſtre caducité, ſemble eſtre plûtoſt digne de compaſſion qu’autrement.

☙❧
  1. Cic. liber. de Senect.
  2. l. 2. Rhet. c. 12.
  3. Conc. 8, de Poen.
  4. l. 5. De hiſt. anim. c. 14.
  5. In Herc. Oeteo
  6. ep. 20. ad Paul.
  7. l. 1. Georg.