Aller au contenu

Soliloques sceptiques/Soliloque X

La bibliothèque libre.

DIXIÉME SOLILOQUE.


Q
Uoi qu’il en ſoit, nos jours eſtant comtez au Ciel de toute eternité, ſelon noſtre plus commune croiance, je ne voy pas bien le fondement des honneurs qu’on rend à ceux qui ont veu rouler plus long-tems ſur leurs teſtes les ſpheres d’enhaut, que le reſte des autres hommes, non plus que tout ce qui leur arrive ; cela dépendant d’vn meſme principe, ſans qu’ils y aient pu rien contribuer[1].

Ventidius quid enim, quid Tullius, anne aliud quàm

Sidus, & occulti miranda potentia fati.

Car toutes nos deſtinées, dont les Anciens ont tant parlé, dépendoient ſelon eux des corps ſuperieurs, & du different aſpect des Aſtres : ce qu’obſervent encore aujourd’huy nos faiſeurs d’horoſcopes, & tous ceux qui deferent aveuglément à l’Aſtrologie Judiciaire. Or tout eſt ſi frivole, & ſi incertain dans cette pretenduë ſcience, que le nombre des Cieux n’y eſt pas conſtant, aſſez de Philoſophes aiant preſuppoſé que les Aſtres y eſtoient comme les oiſeaux en l’air, & les poiſſons dans l’eau. Il n’y a eu que les Juifs qui aient bien aſſeuré qu’il y avoit dix Cieux, de ſorte qu’en leur langue le Ciel n’a point de ſingulier, & n’eſt jamais emploié qu’au pluriel. Selon leurs Rabins les dix courtines du Tabernacle de leur temple, ſignifioient ces dix Cieux ; & le paſſage du texte ſacré, qui dit, opera digitorum tuorum ſunt cœli, témoigne que nos deux mains n’aiant que dix doigts, le nombre des Cieux n’eſt ni moindre, ni plus grand que celui-là. Quant aus Aſtres, & aus Eſtoiles, Platon les eſtablit dans ſon Epinomis pour des Dieux viſibles, ou du moins pour leurs images que nous devons reſpecter. L’ordre, ſelon luy, que les Planetes conſervent entre elles, monſtre qu’elles ſont animées. Et Ovide, conformément à cette opinion commune, n’a pas manqué de mettre ces Animaux au Ciel dans le premier livre de ſes Metamorphoſes,

Neu regio foret vlla ſuis animalibus orba,
Aſtra tenent cœleſte cœlum, formæque Deorum.

Le Soleil eſtant le principal d’entre eux, Apollon eſtoit nommé ἐπίσκοπος, ou ſurveillant, par les Grecs, comme il ſe peut voir dans Phornutus. Tant y a qu’à cauſe que les premiers Peres de l’Égliſe deferoient plus à l’Eſcole de Platon, qu’à celle des autres Philoſophes, ils admettoient l’animation des Cieux, & des Eſtoiles ; & l’on comte entre les erreurs d’Origene celle d’avoir creu ces meſmes Eſtoiles capables du vice & de la vertu. Y a-t-il vn Art plus ridicule que celuy de la Judiciaire, quoi qu’aient pu faire ſes ſuppos, qui ont toûjours taſché de rendre leurs predictions apparemment veritables par des interpretations qui font pitié à tous ceux qui en conſiderent l’abſurdité ? J’en ai aſſez produit d’exemples dans quelques écrits imprimez, je veux ſeulement me remettre ici en memoire celuy qui regarde le Poëte Eſchile. On luy avoit predit par l’inſpection du Ciel qu’il mourroit de la cheute d’vne maiſon, & l’on voulut que la Tortuë qui porte toûjours ſa maiſon, & qui luy écraſa ſa teſte chauve, euſt eſté deſignée par la prediction. Comment l’Aſtrologie auroit-elle quelque choſe de conſtant, & où l’on ſe doive arreſter, puiſque ſes Profeſſeurs ſe contrarient les vns les autres, & baſtiſſent ſur des fondemens differens ? Le Père Semedo obſerve que les Chinois qui n’eſtabliſſent que vingt-huit conſtellations, ont neantmoins vn bien plus grand nombre d’Eſtoiles que nous n’en reconnoiſſons. Si eſt-ce que le Pere Adam Aſtrologue Roial y fonde ſes jugemens ſur les meſmes aphoriſmes que ſuivent les Europeens. Au fond ſi le mouvement de la Terre eſt preſuppoſé, comme le Cardinal Nicolas de Cuſa l’a établi[2], & quatre-vingts ans depuis luy Copernic, ſuivi d’vne infinité d’autres ; que pouvons-nous recueillir de toutes les maximes des Anciens, qui doive ſatisfaire vn eſprit ſolide au ſujet dont nous parlons ? Auſſi voions-nous que les plus grands hommes ſe ſont repentis d’avoir deferé à la vanité de cette profeſſion. Cardan avouë que la connoiſſance qu’il avoit de l’Aſtrologie, luy fut fort préjudiciable[3], parce qu’il croioit ſuivant ſes plus conſtantes maximes, ne devoir pas vivre plus de quarante ans, & nous ſçavons que ſa vie a eſté de ſoixante & quinze moins trois jours. Mathieu Paris fait vn conte ridicule à ce propos de l’Empereur Frideric ſecond, qu’enteſté de la vanité de cette ſcience trompeuſe, il s’abſtint la premiere nuit de ſes nopces de toucher ſa femme Iſabelle, fille d’Angleterre, que le matin ne fuſt venu, & cela par le conſeil de quelques Aſtrologues, donec competens hora ei ab Aſtrologis nunciaretur. Et Scaliger le pere eſcrit dans ſa Poëtique[4], que rien ne peut tant fortifier l’opinion impie d’Épicure touchant la creation fortuite du monde par le concours & aſſemblage hazardeux des Atomes, que l’inégale & temeraire diſpoſition des Aſtres ſur nos teſtes, où ils ne font aucune figure ni arrangement qui ſemble raiſonnable. Car les figures qu’on leur fait repreſenter ſont toutes imaginaires, & à peine y voit-on vn triangle aſſez imparfait ſous le nom du Delta ou Deltoton, non plus que de ligne bien droite, ſi vous exceptez celle du baudrier d’Orion, qui multipliée ſert à meſurer toute l’étendue du Ciel. Le Chancelier Bacon[5] a fait déja cette remarque, & que rien ne ſe meut là haut par des cercles parfaits. Le meſpris j’ay toûjours eſté des predictions Aſtrologiques, m’a tranſporté plus que je ne penſois, adjouſtant ceci à ce que j’en ai eſcrit ailleurs.

☙❧
  1. Iuven. ſat. 7.
  2. l. 2. de docta ignor. c. 12.
  3. l. de vita propria c. 10.
  4. l. 3 c. 17.
  5. De augm. ſcient. p. 166.