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Soliloques sceptiques/Soliloque XI

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ONZIÉME SOLILOQUE.


C
E peu que je viens d’obſerver touchant la Judiciaire me fait penſer à l’opinion que les premiers Philoſophes Grecs ont euë de Dieu, & de la Nature, qu’ils ont ſouvent confondus. Ciceron[1] tient que Straton de Lampſaque ne reconnoiſſoit que la derniere, puiſqu’il n’y avoit point d’effets qu’il ne luy attribuaſt, ſans en rapporter aucun à Dieu, Lampſacenus Strato omnia effecta Naturæ, nulla Diis tribuebat. Et meſme cét Orateur Romain[2] appelle ailleurs la raiſon naturelle, vne loi divine & humaine : Naturæ ratio, quæ eſt lex divina & humana. Platon & Ariſtote ont eu d’autres penſées, & ce dernier remarque au ſixiéme Livre de ſa Metaphyſique[3], qu’à n’admettre point d’autres ſubſtances que les materielles, ſelon qu’en vſoient ſes devanciers, la Phyſique ſeroit la premiere Philoſophie, & non pas celle qui ſuit & eſt au delà, ce qui luy a fait donner le nom de Metaphyſique. Mais en verité les deux Mondes de Platon, l’vn ſenſible, & l’autre intelligible où habite la Verité, ſont des viandes bien creuſes ; de meſme que les nombres qui compoſoient la Nature ſelon Pythagore. Les deux matieres d’Ariſtote, l’vne ſenſible auſſi, & l’autre intelligible qui enveloppe les Mathematiques, ne ſont pas moins chimeriques à ceux qui veulent philoſopher, auſſi bien que naviguer ſeurement, & toûjours terre à terre, de peur de s’égarer. Ceux-là s’empeſcheront toûjours d’employer dans la Phyſique des termes nouveaux & ſurnaturels, comme quelques-vns ont voulu faire depuis peu. Mais il y a des eſprits qui croient n’avoir jamais bien rencontré, ſi contrariant les autres, ils ne ſuivent vne route differente de la leur ; ſemblables à l’Oiſeau Merops qui vole au rebours des autres, avançant toûjours vers ſa queuë : Merops, avium ſola, retrorſus ac verſus caudam fertur, dit Élien dans ſon hiſtoire des animaux[4]. Ainſi aus choſes meſme d’auſſi peu de conſequence, que celles dont nous venons de parler, ſont importantes, on ne trouve que diverſité d’opinions. Pline veut que les Oiſeaux nous aient enſeigné l’vſage du gouvernail d’vn vaiſſeau. Seneque & Poſidonius l’attribuent aux Poiſſons dans le mouvement de leur queuë. Et cette inclination naturelle à la nouveauté contentieuſe, autant que d’autres raiſons morales qu’on pourroit rapporter, ont engendré enfin l’animoſité qui s’obſerve entre quelques Nations, dont je vais dire vn mot aprés ceux qui l’ont obſervée devant moi. Il y a vne antipathie phyſique, ce ſemble, entre l’Alleman & le Polonois, le Suedois & le Danois, l’Anglois & l’Eſcoſſois, le Galois ou habitant du païs de Gales, & l’Irlandois. Le Portugais ne s’accorde pas mieux avec le Caſtillan, non plus qu’autrefois le Pariſien avec le Norman, & le Genois avec le Venitien, ou l’Arragonois. Les Arabes ſont toûjours en differend avec les Abyſſins, les Turcs avec les Perſans, les Mogoles avec les Juſbegs, les Chinois avec les Japonois, les Moſcovites avec les Tartares. Nos anciens Gaulois eſtoient ſi haïs des Romains, qu’ils n’exemtoient de la guerre leurs ſacrificateurs, que quand il faloit aller au combat contre les Gaulois, in Gallico tumultu : ce que Plutarque a remarqué dans la vie de Camillus. Je laiſſe l’injuſtice des Hiſtoriens d’Italie contre noſtre Nation, pour conſiderer ſimplement l’impertinence de Petrarque, d’ailleurs fort à priſer, quand il veut que la ferocité ſeule de nos mœurs nous ait impoſé le nom de François, à feritate morum Francos dictos. Mais quitons vn ſujet par trop odieux.

☙❧
  1. l. 4 qu. Academ.
  2. l. 3 de Offic.
  3. c. 1 text. 3 & l. 11 c. 6.
  4. l. 1 c. 49.