Tolstoï et les Doukhobors/V

La bibliothèque libre.


V

Lettre à la Rédaction du Times

Monsieur,

« Je vous envoie, pour être insérée dans votre journal, une notice sur les persécutions dirigées, cet été, contre les sectaires du Caucase, les Doukhobors.

« Le moyen d’aider aux opprimés, et surtout aux oppresseurs qui ne savent pas ce qu’ils font, est unique : la publicité. L’exposé des faits au jugement de l’opinion publique, qui exprimera sa désapprobation pour les oppresseurs et sa sympathie pour les opprimés, arrêtera les premiers dans leur cruauté, souvent due à l’ignorance, et soutiendra le courage des seconds, qu’il consolera dans leurs souffrances.

« En Russie, la censure n’autorisera pas cet article, c’est pourquoi je vous l’adresse en vous demandant de l’insérer dans vos pages. Cette notice est écrite par mon ami, qui est allé sur place pour recueillir des renseignements exacts sur les événements passés, aussi peut-on absolument ajouter foi à ce qu’il rapporte.

« Ce fait que les renseignements contenus dans cette notice ne viennent que d’un seul côté, celui des opprimés, et que rien n’a été demandé aux oppresseurs, ne diminue pas leur exactitude.

« Les opprimés n’avaient nul besoin de cacher ce qu’ils ont fait, ils le proclament dans le monde entier, et comme les oppresseurs ne peuvent pas n’avoir pas honte des mesures qu’ils ont employées contre les opprimés, ils tâcheront, par tous les moyens, de cacher leurs actes. Nous avons soigneusement exclu tout ce qui, dans les récits des Doukhobors, pouvait paraître exagéré.

« Exacts et indiscutables sont les faits principaux racontés dans cette notice, à savoir : que les Doukhobors, en divers endroits, ont été, maintes fois, cruellement torturés ; qu’un grand nombre d’entre eux a été mis en prison, et que plus de 450 familles ont été complètement ruinées, puis chassées de leur logis, pour la seule raison qu’elles ne voulaient pas agir contrairement à leur croyance religieuse. Tout ceci est absolument indéniable et, même, ces faits, insérés dans plusieurs journaux russes, n’ont excité aucun démenti de la part du gouvernement russe.

« Léon Tolstoï. »