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Fédor Dostoïevski, L’Arbre de Noël dans Candide, 25 décembre 1924

1848

Traduction Georges d’Ostoya 1924

L’ARBRE DE NOËL


Ces jours-ci, j’ai vu un mariage… ou plutôt non ; je vous parlerai de l’arbre de Noël. La cérémonie que je viens de voir était splendide : elle m’a beaucoup plu, mais l’autre fête avait été bien plus intéressante encore ; et vous verrez pourquoi ce mariage m’a rappelé l’arbre de Noël.

Donc, il y a de cela cinq ans environ, j’assistais à une fête donnée à l’occasion de Noël. Le personnage qui m’avait invité était un homme d’affaires important, disposant de capitaux, de protections et de relations. De sorte que cette réunion de bambins n’était, au fond, qu’un prétexte choisi par les parents afin de discuter des questions d’intérêts comme par hasard et de façon inattendue.

Comme je suis étranger aux affaires, j’avais passé ma soirée un peu à l’écart de ces débats, m’occupant surtout à regarder et observer.

Aussi ne fus-je pas long à remarquer un autre invité qui, tout comme moi, semblait être tombé au milieu de cette fête d’une manière assez intempestive. C’était un individu de haute taille, maigre, très sérieux et vêtu avec élégance. Il paraissait cependant loin de toute joie, car aussitôt qu’il se fut retiré dans un coin, sa bouche cessa de sourire tandis que ses sourcils noirs et fournis se fronçaient d’une façon inquiétante.

On voyait qu’en dehors de l’hôte il ne connaissait personne dans la salle et que, tout en s’ennuyant, il avait décidé de jouer jusqu’au bout son rôle d’homme heureux.

J’appris plus tard que c’était un provincial qu’une grosse affaire avait appelé dans la capitale. Comme il était porteur d’une lettre de recommandation pour notre hôte, celui-ci le protégeait, sans aucune espèce d’exagération, et, par politesse, l’avait invité à sa soirée enfantine.

On ne jouait pas aux cartes, on ne lui avait pas offert de cigares et personne ne lui ayant parlé (on avait peut-être reconnu l’oiseau à son plumage), mon homme était obligé, pour se donner une contenance, de lisser sans cesse ses favoris, d’ailleurs vraiment beaux. Mais il le faisait avec tant d’application qu’on aurait pu croire que les favoris étaient venus au monde d’abord et qu’ensuite on avait désigné ce monsieur pour les lisser.

En dehors de ce personnage, qui prenait ainsi part à la joie familiale du brasseur d’affaires, père de cinq beaux petits garçons bien nourris, mon attention se fixa sur un autre monsieur d’un genre totalement différent.

C’était un dignitaire et on l’appelait Julian Mastakovitch. Ainsi qu’on pouvait le constater de prime abord, on le traitait en invité de marque : il se trouvait être vis-à-vis de l’hôte, dans les mêmes rapports que celui-ci avec l’homme aux favoris.

Les maîtres de la maison ne cessaient de l’accabler de mille et mille prévenances. On le soignait, on le faisait boire et on amenait vers lui nombre de gens pour les lui présenter. Je remarquai même que l’hôte eut des larmes aux yeux lorsque, à la fin de la soirée, Julian Mastakovitch daigna émettre l’affirmation qu’il n’avait, depuis longtemps, passé de moments aussi agréables.

Il me faut avouer la peur que je ressentis de me trouver face à face avec un personnage aussi important. Aussi, après avoir admiré les enfants, je me retirai dans un petit salon et je me réfugiai derrière un massif de plantes, qui occupait près de la moitié de la pièce.