Zigzags/Un tour en Belgique/V

La bibliothèque libre.
ZigzagsV. Magen (p. 73-94).
◄  IV
VI  ►

L’hôtel du Morian, où nous descendîmes, est situé rue d’Or, tout près d’une place où il y a un édifice qui ressemble à faire peur à la Madeleine. — C’est une grande et belle maison tenue à l’anglaise. Le dessous de la porte cochère et la salle de réunion sont ornés de peintures à fresque, représentant des paysages d’une perspective tout à fait chinoise et fabuleuse. On y voit des coqs plus gros que des maisons, des vaisseaux qui voguent en pleine terre labourée, des forêts qui ont l’air de grands tas d’écailles d’huîtres, des rochers qu’on prendrait pour des assiettes de meringues crottées, des pêcheurs qui prennent des oiseaux à la ligne, et des bergers à genoux devant de belles princesses que le retour du mur ne leur permet pas d’apercevoir. — J’aime beaucoup ces peintures : elles sont de l’absurde le plus récréatif, et, du reste, d’un coup d’œil assez agréable ; je les mets immédiatement après les dessins des pots du Japon et des paravents de laque.

L’hôtelier du Morian est une espèce de gros muids jovial avec une figure splendidement cramoisie, écarlate de haute graine, comme dirait maître Alcofribas Nasier, un nez en manière de trompe, tout fleureté de bubelettes, tout étincelant et diapré de rougeurs printanières, séparé par le milieu à la façon des chiens de chasse, et hérissé de longs poils rudes et blancs, comme un mufle d’hippopotame ; trois cascades de mentons coulant en larges nappes sur son énorme poitrine, et touchant presque son ventre, un vrai Palforio, un Falstaff, un Lepeintre jeune, un éléphant humain. Je décris ce personnage avec quelque soin, parce que c’est le seul être gras que nous ayons vu en Flandre ; il nous fit naître un espoir qui ne s’est pas réalisé, et je le note ici comme une des raretés du pays.

Nous demandâmes naturellement à dîner à ce digne seigneur, qui se hâta de nous octroyer notre requête. Fidèle à la couleur locale, en attendant la femme blonde, je lui demandai des choux de Bruxelles. Ce produit végétal parut totalement inconnu au gros monstre en veste de basin et en bonnet de coton.

— Monsieur veut des cardons d’Espagne ? les faut-il au jus ou au beurre ?

— Je veux des choux de Bruxelles, et non des cardons d’Espagne… je ne suis pas à Madrid, que diable !

— Pardon, je n’avais pas compris ; très-bien ! Garçon, apportez de la choucroûte à Monsieur.

Si j’avais eu des crics, des chèvres et quelques bigues à mon service, j’aurais de grand cœur jeté l’hôtelier par la propre fenêtre de son hôtellerie ; mais je n’en avais pas, et il n’était au pouvoir d’aucune force humaine de remuer une pareille masse.

Le garçon apporta des petits pois verts qui étaient réellement verts et petits, contrairement à l’usage des pois ainsi nommés, qui se permettent, surtout à la fin d’août, d’être jaunes et gros à les couper par tranches comme des melons.

Suivant le conseil de Jules Janin, nous fîmes venir, pour nous acquérir l’estime de l’hôtelier, près de qui notre porte-manteau aurait pu nous compromettre, une bouteille de vin de Bordeaux d’une qualité équivalente à peu près à un cabriolet avec cheval demi-sang. Nous n’osâmes pas risquer, vu le peu d’épaisseur de nos habits, le Laffitte représentant l’équipage complet. Cela eût été trop mythologique et trop exorbitant.

Notre pâture prise, nous mîmes le nez à la fenêtre pour voir un peu la configuration de la rue et des perspectives avoisinantes. Nous avions en face de nous une maison percée de grandes fenêtres, avec toutes sortes de jeunes filles accoudées au balcon, les unes laides, les autres laides, très-brunes et assez maigres. C’était probablement un atelier de broderie ou quelque chose comme cela : une seule était blonde et jolie, mais, hélas ! elle ne pesait pas quatre-vingts livres, et elle était d’une blancheur de cire vierge ; elle avait, du reste, une position bizarrement gracieuse : elle était assise sur la fenêtre, le dos appuyé contre le balustre, et la tête renversée du côté de la rue, de façon à ce que ses cheveux, mal retenus par son peigne, pendaient en dehors. Elle chantait je ne sais quelle romance en dodelinant la tête avec un petit tic nerveux on ne saurait plus charmant.

Les petites s’étant aperçues que nous les regardions, nous examinèrent plus à fond, et le résultat fut qu’à l’exception de la pâle blonde, qui se balançait toujours en chantant sa chanson, elles éclatèrent toutes de rire comme un cent de mouches, et parurent nous trouver très-bouffons, moi surtout, à cause de mes longs cheveux, et Fritz, pour une raison que je n’ai pas bien démêlée, car il n’avait rien que de très-majestueux en soi-même, et son aspect, ce soir-là, était des plus convenables.

Nous nous lançâmes ensuite à travers la ville, à tout hasard, comme deux sangliers dans un fourré. Fritz, qui a un mouvement particulier d’aileron qui le fait marcher en volant et voler en marchant, à l’instar des autruches, allait devant ; moi, je suivais bien loin derrière en soufflant comme un dogue qui a avalé une fourchette en léchant un chaudron, et d’autant plus inquiet que j’avais oublié le nom de la rue où était l’auberge. Ce qui me rassurait un peu sur la crainte de perdre mon ami Fritz, c’est que j’étais porteur de la bourse, circonstance qui l’eût nécessairement forcé à me retrouver, même au fond des enfers, ou tout en-haut de la Magdalena-Straas.

Après avoir traversé une infinité de rues bordées de maisons avec des toits en escaliers, nous débouchâmes tout d’un coup sur la place de l’Hôtel de Ville, c’est la plus vive surprise que j’aie éprouvée dans tout mon voyage.

Il me sembla que j’entrais dans une autre époque, et que le fantôme du moyen âge se dressait subitement devant moi ; je croyais que de pareils effets n’existaient plus qu’au Diorama et dans les gravures anglaises.

Qu’on se figure une grande place dont tout un côté est occupé par l’Hôtel de Ville, un édifice miraculeux avec un rang d’arcades, comme le palais ducal à Venise, des clochetons entourés de petits balcons à rampes découpées, un grand toit rempli de lucarnes historiées, et puis un beffroi de la hauteur et de la ténuité la plus audacieuse, tailladé à jour, si frêle que le vent semble l’incliner, et tout en haut, un archange doré, les ailes ouvertes et l’épée à la main.

À droite, en regardant l’Hôtel de Ville, une suite de maisons qui sont de véritables bijoux, des joyaux de pierre ciselés par les mains merveilleuses de la Renaissance. On ne saurait rien voir de plus amoureusement joli ; ce sont de petites colonnettes torses, des étages qui surplombent, des balcons soutenus par des femmes à gorge aiguë, terminées en feuillages ou en queues de serpent, des médaillons aux cadres fouillés et touffus, des bas-reliefs mythologiques, des allégories soutenant des écussons armoriés, et tout ce que la coquetterie architecturale de ce temps-là peut imaginer de plus séduisant et de plus amusant à l’œil. Toutes ces maisons sont admirablement conservées, il n’y manque pas une pierre ; la triple chemise de couleur dont elles sont couvertes les conserve comme dans un étui.

La face parallèle est occupée par des édifices d’un caractère tout différent. Ce sont des hôtels dans le style florentin avec des bossages vermiculés, des colonnes trapues, des balustres, des guirlandes sculptées, des pots à feu, et près du comble de ces grands enroulements de pierre, de ces volutes contournées plusieurs fois sur elles-mêmes, dont j’ignore le nom technique, et qui ont assez l’air du paraphe de la signature de l’époque ; ajoutez à cela que presque tous les ornements en saillie, tels que les chapiteaux des colonnes, l’intérieur des cannelures, le cadre des cartouches, et les flammes des cassolettes sont dorés, et vous aurez quelque chose d’assez étrangement magnifique, surtout pour un pauvre Parisien qui n’a vu que les maisons crottées jusqu’au troisième étage de son pandémonium.

Ce côté de la place forme une vraie galerie d’architecture, où toutes les nuances du rococo espagnol, italien et français, depuis Louis XIII jusqu’à Louis XV, sont représentées par échantillon authentique et du meilleur choix. Je me sers ici du mot rococo faute d’autre, sans y attacher aucun sens mauvais, pour désigner une période d’art qui n’est ni l’antiquité, ni le moyen âge, ni la renaissance, et qui, dans son genre, est tout aussi originale et tout aussi admirable.

Vis-à-vis l’Hôtel de Ville, et pour clore la place, il y a un grand palais gothique, une espèce de maison votive, élevée par je ne sais plus quelle princesse, à la suite de je ne sais plus quels événements, ayant perdu la petite bande de papier où j’avais copié l’inscription latine qui est écrite sur la façade ; car, bien que j’aie bonne mémoire, je me souviens assez peu volontiers du style lapidaire, surtout lorsque je crois avoir l’inscription dans ma poche. Mais la légende ne fait rien à la médaille.

Cette maison votive sert maintenant de lieu de réunion à quelque société mangeante, fumante, dansante ou littéraire, et l’intérieur, vivement illuminé, faisait flamboyer un incendie de vitraux sur la face noire du vieux édifice enseveli dans l’ombre, car la lune se levait par derrière, et commençait à jeter sur les autres maisons de la place son voile de crêpe lilas, glacé d’argent ; tout cela avait l’air si peu naturel et si peu probable, que nous croyions être devant une décoration de théâtre, exécutée par des artistes plus admirables que MM. Feuchères, Desplechin, Séchan et Diéterle, peintres de l’Opéra.

Fritz prétendit même avoir entendu les trois coups du régisseur et la sonnette qui appelle les acteurs pour entrer en scène.

En effet, cela ressemblait à s’y méprendre au premier acte d’un drame de Victor Hugo, de Lucrèce Borgia ou d’Angelo. — Le grand palais de rigueur tout illuminé, et faisant rayonner sa joie dans la morne tristesse de la nuit ; au fond la silhouette noire de Padoue au moyen âge, qui se découpe sur l’horizon avec ses flèches et ses clochers.

Nous attendîmes quelque temps que Gubetta sortît de derrière son pilier, que madame Dorval descendît les marches du palais flamboyant, suivie du podestat jaloux, et qu’Homodei se levât de dessus son banc, avec sa guitare. Mais comme rien ne venait, nous primes le parti de nous en aller.

Seulement Fritz voulait redemander son argent à la porte, et cherchait à vendre sa contre-marque à quelque Wallonnais. Puisqu’il n’y avait pas spectacle, nous résolûmes d’aller prendre une tasse de café, chose qui nous semblait d’une exécution facile, et qui nous coûta des peines infinies.

Ayant vu un établissement où il y avait écrit : Estaminet, nous entrâmes bravement tous les deux de front pour avoir l’air plus respectable. — Hélas ! autant aurait valu pour nous tomber dans une fourmilière ou dans une marmite d’eau bouillante ; il y régnait un brouillard si épais qu’il était impossible à un homme d’une taille moyenne d’apercevoir ses pieds du haut de sa tête. Cependant, grâces au bâillement de la porte que nous n’avions pas refermée, la fumée de tabac s’étant un peu dissipée, nous pûmes apercevoir un comptoir ciré tout chargé de mesures de verre, de pots d’étain d’un poli resplendissant, et quelque chose au milieu qui avait des ressemblances éloignées avec une femme. Nous demandâmes du café, de l’air simple et naturel de gens qui ne croient pas dire quelque chose d’énormément ridicule.

Alors, du fond du nuage où nous commencions à distinguer çà et là quelques hures de Wallons, et quelques dos de femmes accoudées à des tables, s’éleva une clameur universelle, un hourra gigantesque, un éclat de rire plus qu’homérique entrecoupé de : Oh eh ! les fransquillons, oh eh ! et d’autres grognements dans le français du lieu, qui est moins intelligible que le flamand simple ou le hollandais double. — Fort effrayé de cette réception peu amicale de la part d’un peuple à qui nous sommes intimement alliés, dit-on, je fis une prodigieuse cabriole en arrière, qui me mit à peu près au milieu de la rue, à une distance assez agréable de ce Capharnaüm damné. Une demi-seconde, un tiers, un scrupule de seconde après, je reçus dans l’estomac Fritz, qui battait en retraite précipitamment, quoiqu’il soutint qu’il s’était retiré avec les honneurs de la guerre. Pour moi, j’avoue franchement que je ne résistai pas à l’idée d’être mis en quartiers et mangé tout cru par les Wallons, et que je me sauvai héroïquement le premier, comptant que la mise à mort, l’écorchement et le scalpement de mon ami intime me donneraient le temps d’atteindre les pays civilisés.

Malgré cet échec, Fritz, qui tenait à prendre du café, chercha à me prouver, par des raisonnements plus brillants que fondés, que nous n’étions pas encore tout à fait chez les Esquimaux, et qu’au bout du compte nous ne courions guère d’autre risque que de nous faire jeter à la tête une certaine quantité de pots d’étain, ce qui était une occasion excellente de faire des expériences sur la dureté spécifique de notre crâne, occasion qui ne se représenterait peut-être jamais.

Entraîné par ses sophismes dorés, je me hasardai avec lui en plusieurs autres endroits, où la même huée colossale nous accueillit, et toujours en refrain : Oh eh ! les chiens de fransquillons ! Je me crus un instant à Constantinople ; il n’y manquait que le chien de chrétien et Giaour.

Enfin, après plusieurs essais plus ou moins malheureux, nous trouvâmes un endroit où l’on nous donna du café, sans hourra et avec un sérieux convenable.

Le café pris, il s’agissait de retourner à l’hôtel du Morian. — Nous fîmes environ vingt-cinq lieues avant de retrouver ce bienheureux hôtel, les indications malicieuses des Wallons aidant sans doute à nous fourvoyer. Cependant, ayant enfilé à tout hasard une rue assez longue, il se trouva que c’était la rue d’Or, la rue que nous cherchions. Ô bonheur inespéré !

On nous conduisit dans nos chambres, et vers nos lits, dont nous avions éminemment besoin. Les lits belges ne sont pas faits comme les lits de France, il n’y a point de traversin, mais bien deux grands oreillers posés côte à côte. Les couvertures sont de coton, avec des petits nœuds et des entrelacements d’un très-joli effet. Les draps sont en toile de lin, les enveloppes des matelas de toile damassée assez semblable aux nappes à thé : les chandeliers n’ont pas non plus la même forme que les nôtres ; ils posent sur un pied très-large, et se rapprochent des bougeoirs du temps de Louis XV. Le parquet est fait en planches de sapin grattées au vif, et qui ont une couleur de saumon pâle, au lieu d’être en carrés marquetés comme ici. Un les lave toutes les semaines avec de l’eau bouillante et du grès. — Tout ceci ne paraîtra peut-être pas fort intéressant, mais cependant ce sont tous ces petits détails qui constituent la différence d’un pays à un autre.

Quant au sommeil belge, il est exactement pareil au sommeil parisien. Seulement, Fritz rêva qu’il se baignait dans la rivière jaune de la Chine, et qu’il avait eu une indigestion de nids d’hirondelles, en sortant de souper avec un mandarin dont les ongles avaient huit pouces de long. Voilà ce qui se passa de plus remarquable dans cette nuit.

Le matin nous déjeunâmes comme un troupeau de lions à jeun depuis quinze jours, et je n’ose dire par modestie ce que nous nous infiltrâmes de bière dans le corps ; après cela, nous sentîmes un besoin prononcé de rouler par la ville le tonneau de faro et de lambick que nous avions caché sous notre peau.

Bruxelles est une ville d’un aspect plutôt anglais que français dans les parties modernes, plutôt espagnol que flamand dans ses parties anciennes. Il y a peu d’églises considérables, excepté Sainte-Gudule, rue de la Montagne. Les vitraux, les confessionnaux et la chaire de Sainte-Gudule sont d’une grande beauté. Quand je la visitai, on était en train de la regratter, de la restaurer et de la badigeonner, car la rage du badigeon est encore bien plus véhémente en Belgique qu’en France. Dans cette église je remarquai pour la première fois cette idolâtrie de christianisme générale en Belgique, et d’un effet tout nouveau pour moi, qui n’ai vu que les églises voltairiennes de France : c’était une profusion de clinquant, de couronnes, d’ex-voto, de cierges, de pots de fleurs, de bannières brodées, de caisses d’orangers, et mille autres inventions dévotes.

Une chose très-remarquable à Bruxelles, c’est que toutes les boutiques portent cette inscription : Un tel, bottier de la cour ; un tel, grènetier de la cour ; un tel, marchand d’allumettes de la cour, et sans cesse, et à propos de métiers qui ne semblent pas le moins du monde avoir affaire à la cour. Les boutiques d’apothicaires portent pour enseigne de grands bois de cerfs naturels, cela soit dit sans faire allusion à l’état conjugal d’aucun de ces messieurs. Quant aux estaminets, il y en a demi fois plus que de maisons.

À force de ramper le long de la Magdalena-Strass, nous parvînmes à une grande belle place carrée, qui se nomme la place Royale, et sur laquelle on voit une église avec un fronton où il y a, au milieu d’une gloire, un œil sculpté qui a l’air d’un modèle d’œil gigantesque proposé à tous les bambins de la ville. Le palais du roi est tout près de là. C’est un assez grand édifice d’une architecture médiocre, peint en blanc, à l’huile, et qui doit être un logis confortable et commode. L’art n’a rien à y voir. Le Parc, qui est assez petit, n’offre rien de particulier ; on y trouve un petit bassin et quelques groupes thermes, gaînes et statues, peints également à l’huile et vernis ; les arbres de ce jardin m’ont semblé d’un vert admirable, même pour ce pays de belle verdure, et il y règne un grand air de fraîcheur.

Notre tour fait dans le Parc, nous allâmes chez les éditeurs de contrefaçon : j’achetai les poésies complètes d’Alfred de Musset, en un volume, et Madame de Sommerville, de Jules Sandeau ; je voulus aussi acheter Mademoiselle de Maupin, roman de votre serviteur ; mais j’avoue que cela me fut impossible, par la raison que je ne le trouvai nulle part. Ceci me mortifia d’autant plus, que le Bibliophile, l’Alphonse Brot, l’Hippolyte Lucas, et autres gens illustres de ma connaissance, étaient mirifiquement contrefaits, et que je confesse avec toute l’humilité qui me caractérise que jusqu’ici je m’étais cru l’égal de ces messieurs. Mon voyage m’a détrompé, et fait revenir d’une si folle présomption[1]. Le Bibliophile surtout jouit d’une si grande réputation dans ce pays-là, que les Mauvais Garçons d’Alphonse Royer et de Barbier, la Notre-Dame de Victor Hugo, les deux meilleurs romans que le moyen âge ait inspirés, sont imprimés sous son nom.

Les volumes de prose du Spectacle dans un Fauteuil, d’Alfred de Musset, ne sont pas connus en Belgique, et le contrefacteur à qui je les demandai parut tout surpris, et écrivit sur-le-champ à son correspondant de les lui envoyer. Cela ne fait pas grand honneur à la publicité de la Revue des deux Mondes, et aux goûts littéraires des libraires belges.

En sortant des boutiques des contrefacteurs, nous prîmes un fiacre, et nous nous fîmes conduire à la porte de Laeken pour voir les chemins de fer. Les fiacres belges sont très-beaux, et ne ressemblent nullement à nos sapins ; ils vont vite, et sont attelés de chevaux convenables. Celui où nous étions était une espèce de landau doublé de velours blanc, et qui eût paru ici un équipage fort magnifique ; mais aussi, s’ils sont deux fois plus beaux que les nôtres, ils sont deux fois plus chers. Ils se tiennent d’habitude sur la place Royale ; il y en a à peu près une quarantaine.

Un chemin de fer est maintenant un objet d’une trop haute importance et trop palpitant d’actualité pour que nous ne lui consacrions que le dernier alinéa de notre chapitre ; cela serait surtout un peu léger de notre part, à nous qui sommes en délicatesse à l’endroit du chemin de fer, et qui en avons parlé maintes fois en termes peu mesurés. Le chemin de fer de Bruxelles à Anvers, ô magnanime lecteur ! sera donc le sujet du chapitre suivant, avec une description très-belle d’Anvers à vol d’oiseau, que je tiens en réserve pour le crescendo de ma symphonie.

  1. L’auteur écrivait cela il y a quelques années : aujourd’hui toutes ses œuvres ont subi les honneurs de la contrefaçon.
    (Note de l’Éditeur.)