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Page:Schleiermacher - Discours sur la religion, trad. Rouge, 1944.djvu/280

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car dans ce cas chaque croyant, en vertu de sa progression naturelle, parviendrait de lui-même à la croyance d’autrui ; la religion qu’il se fait communiquer se transformerait en la sienne propre et ne ferait plus qu’un avec elle ; et l’Église, cette communion avec tous les croyants qui, par suite de la conception précitée, se présente à tout être humain religieux comme indispensable, ne serait qu’une institution intérimaire, vouée à [240] se supprimer elle-même avec une rapidité égale à celle de l’action exercée par elle. Or ce n’est pas du tout ainsi que j’ai voulu la concevoir ou la présenter. J’ai donc présupposé la pluralité des religions, et je trouve celle-ci fondée de même dans l’essence de la religion.

Chacun voit aisément que personne ne peut posséder la religion tout entière, car l’homme est un être fini, et la religion est infinie ; mais cet autre fait ne saurait pas ne plus vous être étranger, qu’elle ne peut pas être morcelée entre les hommes par parcelles, selon ce que chacun est capable d’en saisir et d’en comprendre, au petit bonheur ; elle doit bien plutôt s’organiser en manifestations qui sont plus différentes les unes des autres. Rappelez-vous seulement les nombreux degrés de la religion sur lesquels j’ai attiré votre attention, faisant voir que la religion de celui qui considère l’Univers comme un système ne peut pas être un simple prolongement de la vue de celui qui n’en a l’intuition que dans ses éléments en apparence opposés les uns aux autres, et qu’à son tour ne peut pas parvenir à ce point de vue en suivant sa propre voie celui pour lequel l’Univers n’est encore qu’une représentation chaotique et indistincte[1]. Il vous est loisible de donner à ces différences le nom d’espèces ou de degrés de la religion. Vous n’en devrez pas moins accorder [241] que, partout ailleurs où il y a de semblables subdivisions, ce qu’on trouve ordinairement comme y correspondant, ce sont des formations de caractère individuel[2]. Toute forme infinie qui ne se subdivise en parties distinctes que dans ses manifestations visibles se révèle aussi sous la forme de figures particulières et différentes les unes des autres

  1. Cf. p. 126-7, 129-30, 187, 202, 255.
  2. Le texte dit « des individus », Individuen, cf. la même expression p. 249-50.