« Chants de Janina »
La Méditerranée orientale, année 2, n° 23, 15 février 1918 (p. 12-13).
Chants de Janina, de Smyrne, de Constantinople, — chants traînants de l’Orient, — mélopées plaintives, — comme vous traînez mon âme après vous ! — Elle est fondue de votre musique, — et elle s’enroule sur vos ailes.
Vous êtes les enfants d’une mère qui parle en vous et gémit, — et qui exhale de lourds parfums ; — son baiser lascif brûle ; — et elle adore le Destin et tremble, — l’âme toute chair, esclave dans un harem, — la Terre langoureuse de l’Orient.
En vous pleure la misère des pauvres gens, — et tout en vous, même la joie, est plainte, — plainte amère et traînante. — Malheureux, pauvre et esclave et indolent, — au cœur sec, au cerveau fruste, — moi aussi je voyage avec vous.
Sur le rivage, qu’ont abandonné les caïques, — et à qui ne sont restés que les lys et les varechs, — dans le rêve de la mer et du ciel, — je voudrais vivre une
vie inactive et solitaire, — muet, sans la brûlure d’aucun souci, — avec ce qu’il faut d’esprit.
Pour vivre comme un arbre, — et, fumeur, avec la fumée tresser — des bagues d’azur, — et remuer de temps en temps les lèvres, — et faire revivre sur elles le chagrin — qui lourdement vous pèse,
Et qui recommence sans cesse et tourne et recommence. — Et une race vit en vous et fond, — et une vie enchaînée palpite, — chants de Janina, de Smyrne, de Constantinople, — chants traînants de l’Orient, — mélopées plaintives.