À M. de la Garde, au sujet de son histoire saincte

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Œuvres poétiques de Malherbe, Texte établi par Prosper BlanchemainE. Flammarion (Librairie des Bibliophiles) (p. 72--).


ODE X

A M. DE LA GARDE
au sujet de son histoire saincte

1628


La Garde, tes doctes écrits
Montrent le son ; que tu as pris
A sçavoir toutes belles choses ;
Et ta prestance et tes discours
Etalent un heureux concours
De toutes les graces écloses.

Davantage tes actions
Captivent les affections
Des coeurs, des yeux et des oreilles,
Forçant les personnes d’honneur
De te souhaiter tout bonheur
Pour tes qualitez nonpareilles.

Tu sçais bien que je suis de ceux
Qui ne sont jamais paresseux

A loüer les vertus des hommes ;
Et dans Paris, en mes vieux ans,
Je passe en ce devoir mon temps,
Au malheureux siecle où nous sommes.

Mais, las ! la perte de mon fils,
Ses assassins d’orgueil bouffis,
Ont toute ma vigueur ravie ;
L’ingratitude et peu de soin
Que montrent les grands au besoin
De douleur accablent ma vie.

Je ne desiste pas pourtant
D’estre dans moy-mesme content
D’avoir bien vécu dans le monde,
Prisé (quoique vieil abbatu)
Des gens de bien et de vertu ;
Et voila le bien qui m’abonde.

Nos jours passent comme le vent ;
Les plaisirs nous vont décevant,
Et toutes les faveurs humaines
Sont hemerocalles d’un jour :
Grandeurs, richesses et l’amour
Sont fleurs perissables et vaines.

Nous avons tant perdu d’amis
Et de biens par le sort transmis

Au pouvoir de nos adversaires !
Néantmoins nous voyons du port
D’autruy le debris et la mort,
En nous éloignant des corsaires.

Ainsi puissions-nous voir longtemps
Nos esprits libres et contents
Sous l’influence d’un bon astre !
Que vive et meure qui voudra !
La constance nous resoudra
Contre l’effort de tout desastre.

Le soldat, remis par son chef,
Pour se garantir de méchef,
En estat de faire sa garde,
N’oseroit pas en deloger
Sans congé pour se soulager,
Nonobstant que trop il luy tarde ;

Car, s’il procedoit autrement,
Il seroit puni promptement
Aux dépens de sa propre vie.
Le parfait chrétien, tout ainsi,
Créé pour obéir icy,
Y tient sa fortune asservie.

Il ne doit pas quitter ce lieu
Ordonné par la loy de Dieu ;

Car l’ame qui luy est commise,
Félonne, ne doit pas fuir
Pour damnation n’encourir,
Et n’estre en l’Erebe remise.

Desolé, je tiens ce propos,
Voyant approcher Atropos
Pour couper le noeud de ma trame ;
Et ne puis ny veux l’éviter,
Moins aussi la precipiter,
Car Dieu seul commande à mon ame.

Non, Malherbe n’est pas de ceux
Que l’esprit d’enfer a deceus
Pour acquerir la renommée
De s’estre affranchis de prison
Par une lame, ou par poison,
Ou par une rage animée.

Au seul point que Dieu prescrira,
Mon ame du corps partira
Sans contrainte ny violence ;
De l’enfer les tentations,
Ny toutes mes afflictions
Ne forceront point ma constance.

Mais, La Garde, voyez comment
On se divague doucement,

Et comme notre esprit agrée
De s’entretenir prés et loin,
Encor qu’il n’en soit pas besoin,
Avec l’objet qui le recrée.

J’avois mis ma plume à la main,
Avec l’honnorable dessein
De louer votre Saincte Histoire ;
Mais l’amitié que je vous dois,
Par delà ce que je voulois,
A fait débaucher ma memoire.

Vous m’estiez present en l’esprit,
En voulant tracer cet écrit,
Et me sembloit vous voir paroistre
Brave et galant en cette Cour,
Où les plus huppés à leur tour
Taschoient de vous voir et connoître.

Mais ores, à moy revenu,
Comme d’un doux songe advenu
Qui tous nos sentiments cajole,
Je veux vous dire franchement,
Et de ma façon librement,
Que vostre Histoire est une école.

Pour moy, dans ce que j’en ai veu,
J’asseure qu’elle aura l’aveu

De tout excellent personnage ;
Et, puis que Malherbe le dit,
Cela sera sans contredit,
Car c’est un tres-juste presage.

Toute la France sçait fort bien
Que je n’estime ou reprends rien
Que par raison et par bon titre,
Et que les doctes de mon temps
Ont tousjours esté tres-contents
De m’elire pour leur arbitre.

La Garde, vous m’en croirez donc,
Que, si gentilhomme fut onc
Digne d’eternelle memoire,
Par vos vertus vous le serez,
Et votre los rehausserez,
Par vostre docte et saincte Histoire.