À une Dame de Provence

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Œuvres poétiques de Malherbe, Texte établi par Prosper BlanchemainE. Flammarion (Librairie des Bibliophiles) (p. 79-80).


STANCES

I

A UNE DAME DE PROVENCE

1586


Si des maux, renaissans avecq’ ma patience,
N’ont pouvoir d’arrester un esprit si hautain,
Le temps est medecin d’heureuse expérience :
Son remede est tardif, mais il est bien certain.

Le temps à mes douleurs promet une allégeance.
Et de voir vos beautez se passer quelque jour ;
Lors je seray vengé, si j’ay de la vengeance
Pour un si beau sujet pour qui j’ay tant d’amour.


Vous aurez un mary sans estre guère aimée,
Ayant de ses desirs amorty le flambeau ;
Et de cette prison, de cent chaisnes fermée,
Vous n’en sortirez point que par l’huis du tombeau.

Tant de perfections qui vous rendent superbe,
Les restes d’un mary, sentiront le reclus ;
Et vos jeunes beautez flétriront comme l’herbe
Que l’on a trop foulée et qui ne fleurit plus.

Vous aurez des enfants, des douleurs incroyables,
Qui seront prés de vous et crieront à l’entour ;
Lors fuiront de vos yeux les soleils agreables,
Y laissant pour jamais des estoilles autour.

Si je passe en ce temps dedans vostre province,
Vous voyant sans beautez et moy rempli d’honneur
(Car peut-estre qu’alors les bienfaits d’un grand prince
Marieront ma fortune avecques le bonheur),

Ayant un souvenir de ma peine fidelle,
Mais n’ayant point à l’heure autant que j’ay d’ennuis,
Je diray : « Autrefois cette femme fut belle,
Et je fus autrefois plus sot que je ne suis. »