À Monsieur Richelet, sur l’ombre de sa Belette.

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Seconde partie des Muses françoises, Texte établi par Despinelle, chez Matthieu Guillemot (p. 246-249).


A MONSIEVR RICHELET.

Sur l’Ombre de ſa Belette.

 
A peine ai-ie clos ma paupiere,
 Dompté d’Amour & du mal-heur,
 Et tu te vas donnant carriere,
 Helas ! recule toi arriere,
 De peur d’eſueiller ma douleur.
Sorciere aimee de mes geines,
 Belette mon doux reconfort,
Tu accompagnes bien mes peines,
 Mais tu n’as pas dedans tes veines
 Comme moi l’autheur de ta mort,
Helas ! tu follaſtres ſans ceſſe
 Courant d’vn or’ d’autre coſté,
 Et moi ie croupis en triſteſſe
 Auſſi conſtant en ma deſtreſſe
 Que ma belle en ſa cruauté.
Ta petite dent iuoirine
 Eſtreint mignardement mes dois,
 Quand tu contrefais la mutine :
 Mais l’Amour ronge ma poictrine
 Lorsmeſme qu’il m’eſt plus courtois.
Mignonne quand la ſoif te preſſe,

 Ma léure eſt ton allegement,
 Et ſi ie baiſe ma Maiſtreſſe,
 I’aualle vne flamme traiſtreſſe
 Qui m’altere eternellement.
Si quelquesfois ie me pourmeine
 Tu vas & viens ſuivant mes pas,
 c’eſt le deſespoir qui me meine,
 Follette laiſſe cette peine,
 Si tu ne cerches ton treſpas.
Quand ie ſuis verſé ſur ma couche,
 Fiere de m’auoir avec toi,
 Nul n’approche ſans eſcarmouche ;
 Que gardes-tu mon lict farouche
 Puiſque l’aſſaſſin eſt dans moi ?
Tu viens au repas de ton maiſtre,
 Choisir tes morceaux dans ſa main,
 Et ſi mon cœur ſe veult repaiſtre,
 Tout ce qu’il aime deuient traiſtre,
 Et s’enfuit de deuant ſa faim.
Si quelque petit chien t’agaſſe
 Plus puiſſant de membres que toi,
 Tu cours iuſqu’à ce qu’il ſe laſſe,
 L’importun mal-heur qui me chaſſe
 Ne ſe laſſe iamais ſur moi.
Alors que j’eſcris mon martyre,
 Tu m’oſtes la plume des dois,
 Et l’Amour redouble ſon ire,
 Ie te pri’ laisse moi eſcrire,
 Ou bien oſte lui ſon carquois.
En fin apres mille carrieres,
 Et mille ſauts entrecouppez,

 Le Soleil dompte les lumieres :
 Mais touſiours les fureurs meurtrieres
 Veillent au fonds de mes coſtez.
Nul obiect dormant ne te ronge ;
 Si je dors i’ai cinq cens voleurs,
 Dont le moindre ſoudain me plonge
 Dedans les abyſmes d’vn ſonge,
 Autant cruel que mes douleurs.
Helas ! qu’eſt-ce que je raiſonne,
 Ou à qui tiens-ie ce propos ?
 Eſt ce à toi ma douce mignonne ?
 Peux-tu bien en ton dernier ſomne
 Encores troubler mon repos ?
Mais pardon ombrelette bleſme,
 Si i’ai oublié tes honneurs,
 Et failli au deuoir extreſme,
 Ie faults ainſi enuers moi-meſme,
 Bien qu’entõbé dans mes mal-eurs.
Pardon, i’offre deſſus ta lame
 Mes plaiſirs, me contentements,
 Helas ! ie toffriroi mon ame,
 Si le furieux qui l’enflamme
 Ne la gardoit pour mes tourments.
Mais las ! où t’en fuis-tu Belette,
 Le Soleil allume le iour,
 Et tu t’eſteins, douce ombrelette,
 Ne t’en va point ainſi ſeulette,
 Prends ma vie ou bien mon amour.
Mon richelet, la pierre dure
 N’attend plus ores que le prix,
 De ce petit œil de Nature :

 Trace doncques ſa ſepulture,
 Puiſque tu es l’eil des Eſprits.

A. D. VERMEIL.