À bout portant/En 1915

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Éditions du Devoir (p. 49-51).

En 1915


J’ai trouvé dans des vieux papiers, datant des débuts du vingtième siècle, de l’an mil neuf cent quinze (1915) exactement, un journal dont la lecture m’a bien égayé. C’est une preuve de plus que les peuples de cette époque avaient conservé, sous leur prétendu vernis de civilisation, les mœurs sauvages de leurs ancêtres des temps primitifs.

Si l’on examine l’histoire, on voit que vers 1912 une grève de houilleurs bouleversa le monde. Le charbon — j’explique ici pour les jeunes lecteurs que le charbon était un combustible noir dégageant un gaz nauséabond (on peut en voir un morceau admirablement bien conservé au Musée de Ramezay) — le charbon, dis-je, devint un article très rare et suivant la mentalité anti-sociale d’alors, tout le monde voulut en avoir ; résultat : le charbon devint un article de grand luxe. J’en trouve la preuve dans le journal de 1915 et je reproduis textuellement :

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CARNET MONDAIN.

Grande réception hier chez la duchesse du Vieuxcastel. L’hôtesse portait pour la première fois la belle rivière en anthracite que tous ont admirée chez les bijoutiers Cohen & Rosembloom.

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TESTAMENT.

On a ouvert hier, le testament de feu Eustache Sucrauplâtre, le sympathique et richissime épicier mort récemment. La fortune du défunt se trouve répartie ainsi : À sa famille : trois tonnes de charbon ; à diverses institutions : l’intérêt d’une tonne d’anthracite ; à son neveu, Fêtard : trois onces de coke, etc., etc.

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MALADIE À LA MODE.

L’appendicite a vécu. Hier le Prince de Galles s’est fait traiter pour le charbon. Le charbon sera, prévoit-on dans les cercles médicaux, la maladie à la mode cette année.

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EXÉCUTION DE MARTIN.

Le shérif Lepire n’ayant pas réussi à trouver un exécuteur des hautes œuvres, a opéré lui-même ce matin, en pendant le bandit Martin. Martin, on s’en souvient, détourna du trésor municipal un plein tombereau de cendres.

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