À bout portant/L’Orange bouge

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Éditions du Devoir (p. 93-94).

L’Orange Bouge

La loge des Citrons d’Orangeville bouge !

Une nouvelle, parue hier soir, a jeté ses membres dans une grande consternation qui s’est vite changée en une colère jaune.

Il y avait de quoi. Le télégraphe, en effet, annonçait que le prince de Galles partait pour Paris où il allait se perfectionner dans la langue française.

Quelle abomination ! Un prince anglais apprendre le français ! Mais, c’était tout simplement vouloir la fin des Orangistes.

Les armes de l’Angleterre avec leur « Honni soit qui mal y pense » et le « Dieu et mon droit » était déjà intolérables et, si ces mots, écrits dans la langue de Racine, n’avaient pas été là depuis des siècles, ce qu’on les aurait vite effacés ! On ne voulait pas aller plus loin dans le domaine des concessions.

La Loge délibéra longuement. Le vénérable expliqua que le roi avait probablement été suggestionné par Bourassa. Enfin l’on décida à l’unanimité d’envoyer un câblogramme de protestation à Georges V :

« Pas d’école bilingue ; pas de prince bilingue ! Down with the damned frenchmen ! »

« (Signé)             CITRONS. »

Puis, après avoir pris un cordial consolateur, les braves Orangistes, sachant qu’ils venaient encore une fois de sauver l’Empire, s’en allèrent dormir, sinon dans la paix, du moins dans la vigne du Seigneur.

Ils dormaient les braves gens, ne se doutant pas qu’à la même heure un immense danger menaçait Albion : Là-bas, à Windsor, le prince héritier était en train, tout comme un « habitant” de Québec, de se délecter d’une excellente soupe aux pois…