À bout portant/M… bleus !

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Éditions du Devoir (p. 95-97).


M…… Bleus !

Santa Claus frappa légèrement, la porte s’ouvrit et un bel imberbe à la chevelure brune et bouclée parut :

M. Graindorge ?

— Oui, c’est moi.

— Voici, à votre adresse, un colis recommandé ; veuillez signer ce reçu.

Santa Claus en l’occurrence s’était mis dans la peau d’un brave facteur. Graindorge était tout joyeux. Il signa puis bien vite s’en fut dans son cabinet directorial.

— Un cadeau de Noël ; qui a bien pu m’envoyer cela ? pensa Graindorge en dénouant nerveusement les faveurs rouges — une délicate allusion — qui entouraient le colis recommandé.

— C’est un cadeau d’une jolie dimension, si j’en juge par la boîte qui le contient, pensa Graindorge haletant et défaisant l’emballage.

— Tiens, s’exclama-t-il enfin, c’est une statuette ! Mais elle est jolie comme tout ! Qui a bien pu ? Il regarda dans le fond de la boîte et y trouva un bristol :

— Ah ! c’est ce généreux ami Milo…

Graindorge resta en extase devant la statuette, puis, tout à coup, son front se glissa et son visage prit un air de courroux :

— Ah ! ces m… bleus ! Il n’y a qu’eux pour mal servir le public. Je vais leur conter ça à l’administration des postes…

Tout en maugréant, Graindorge saisit son chapeau, son pardessus, la boîte contenant le cadeau de son ami Milo, et, d’un saut, se rendit au bureau de poste. Deux secondes plus tard il entrait chez le chef du service de livraison.

— C’est odieux, c’est épouvantable, votre service est pourri…

— Mais qu’y a-t-il ? demanda le fonctionnaire, ahuri.

— On n’a jamais vu chose pareille sous le régime Laurier. Regardez. — Graindorge exhiba la statuette — et dites-moi si c’est ainsi que vous distribuez les colis ?

— Mais je ne comprends pas…

— Non, vous ne comprenez plus, s… bleus ; quand M. Lemieux était ministre des postes vous étiez plus intelligents…

— Enfin, Monsieur, expliquez-vous…

— Ne voyez-vous pas que cette statuette a été brisée en route ; regardez, elle n’a plus de bras…

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