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À bout portant/Le reporter

La bibliothèque libre.
Éditions du Devoir (p. 1-4).

Le Reporter


Pauvre, mais honnête !

Rien, mieux qu’un cliché, ne saurait le peindre, lui qui en fait un usage si abondant.

Il est bon garçon comme le roi d’Yvetôt, se couche tard, se lève tôt et arrive en retard.

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Avec son tempérament de cigale, il trouve pourtant des fourmis qui lui prêtent à cent pour cent.

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Il jongle tous les jours avec les certiorari les quo warranto, les mandamus et trouve un huissier en rentrant chez lui.

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Il méprise les biens périssables de ce monde ; pour ne pas s’enrichir, il ne paie pas ses dettes.

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Comme Cyrano, il fait gras le vendredi en ne mangeant pas ; il se reprend par l’abstinence, les autres jours de la semaine.

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M. Jourdain faisait de la prose sans le savoir ; il en fait aussi sans le savoir, mais il le sait.

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Il parle science, cuisine, astronomie, médecine, industrie, et bénit Augé d’avoir fait l’encyclopédie Larousse.

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Si ses comptes-rendus de conférence sont toujours très lus, c’est qu’il sommeille pendant la séance ou qu’il n’y va pas.

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Souvent il raconte oiseau quand le conférencier a parlé poisson ; le lecteur n’y a jamais rien perdu.

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Combien d’orateurs lui doivent leur éloquence !

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Il vante les œuvres humanitaires d’une main et donne les détails d’un meurtre de l’autre. La droite ignore toujours ce que la gauche…

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Il assiste au spectacle dans le cabaret d’en face ; les acteurs disent qu’il est un critique impartial.

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Dans les banquets il répond à la santé de la presse : « ce véhicule moderne de la pensée » ! Et le lendemain il maudit Renaudot et ses successeurs.

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L’été, il proclame les charmes d’une villégiature à la mode et rôtit sous les combles ; l’hiver il fait la chronique des fourrures et attrape une bronchite aussi chronique.

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Il fait de belles manchettes pour son journal, mais n’en porte jamais.

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Il appelle un avocat : fils de Thémis, un médecin : disciple d’Hippocrate et quelques fois Rollet : un fripon.

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Ce courage le conduit-il en prison, il s’en console en songeant que le journalisme mène à tout.

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Son blason : Pot à colle croiseté de ciseaux sur fond d’engueulades de “city editor”.

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Sa devise : « Ce que j’ignore ne vaut pas la peine d’être appris ».

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On le voit sur ses vieux jours, faire la poire à la porte d’un ministère en attendant un fromage.

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Il vit en espérant qu’un nouveau Christophe Colomb lui découvre un oncle d’Amérique, et meurt sans le sou.

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Il ira dans un monde meilleur ; une nouvelle édition en sera tirée, amplement revue et corrigée par l’Auteur.