À bout portant/Le tribun populaire

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Éditions du Devoir (p. 21-22).


Le Tribun Populaire

Il est toute la journée notaire, avocat, médecin, journaliste ; le soir il est tribun à cinq piastres ou plus par discours.

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Il aime l’ouvrier, et, s’il ne peut pas dire qu’il l’est, il peut du moins assurer que son père en était un : comme vous, messieurs !

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Il connaît à peine le candidat pour qui il parle et est d’autant plus à l’aise pour faire son éloge.

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Le même discours, prononcé en faveur de M. Leblanc, pourrait servir pour M. Lenoir ; il n’y aurait que les noms à changer.

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Il a toujours ample provision d’audace, de « front de bœuf » et d’encens.

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Il débute par quelques bons mots à l’adresse des « chers électeurs » et de leur « belle division », vante les qualités du foudre qui l’a précédé, anathématise l’adversaire et termine en portant aux nues le candidat qui le paie : cet ami du peuple.

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Pour un salaire plus élevé il en ferait tout autant pour le candidat adverse.

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Jusqu’au jour du scrutin il jure que son candidat sera élu par une forte majorité.

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Le lendemain, quel que soit le résultat, imperturbable il assure qu’il l’avait dit.

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Si c’est une défaite, il murmure à l’oreille : C’est cet imbécile d’Untel qui a gâté la sauce.

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Si c’est une victoire, il clame : Sans moi, vous savez… Mais au fond il s’en f… ; il sait que la parole est d’argent et se la fait payer en espèces sonnantes.