À bout portant/Perrin Dandin
Perrin Dantin
PREMIER ACTE
De nos jours. — La scène représente un tribunal malpropre et mal aéré, une foule de curieux encombre la salle.
Perrin (voix grave). — Qu’on amène le prisonnier et les témoins !
Vagabond (du banc de l’infamie). — Présent à vot’ honneur.
Perrin (à l’agent dans la boîte aux témoins). — Qu’avez-vous à dire ?
Agent (solennel). — Cet individu s’est couché de tout son long et a dormi pendant une nuit entière près de la voie de la Compagnie du Petit Tronc.
Perrin (intéressé). — Près de la voie de cette puissante compagnie de chemin de fer ? Quelle audace !
Agent. — Oui, votre Seigneurie, et pendant que l’accusé dormait les wagons ont pris feu.
Perrin (courroucé). — C’est épouvantable (à l’inculpé). Qu’avez-vous à dire misérable, bandit ?
Vagabond (timide). — C’est vrai j’ai dormi… mais je n’ai pas mis le feu…
Agent. — On n’a pas de preuve quant au feu, mais…
Perrin (geste d’intelligence). — On va le condamner pour « trespass ». (Inexorable). Vagabond, vous êtes condamné à six mois de travaux forcés.
ACTE SECOND
Le même jour. — Dans le cabinet privé de Perrin. — Ameublement somptueux, lumière, aération, etc. Un Monsieur entre. Il est très bien mis et porte diamants.
Le Monsieur. — Pardon M. le juge, (présentant sa carte). Je suis Untel.
Perrin. — Oui, oui, M. Untel… je suis enchanté… (voix basse). Vous venez au sujet de cette malheureuse affaire ?
Le Monsieur (la bouche en cœur, les yeux au ciel). — Oui, M. le Juge. C’est une bien malheureuse affaire et si j’avais su…
Perrin (comprenant). — Vous auriez fermé boutique avant.
Le Monsieur. — Tu parles… pardon… je veux dire, oui M. le juge. Pensez donc… douze ans sans être dérangé !…
Perrin. — Pardon cher M. Untel, mais j’avais oublié de vous offrir un siège. (Le monsieur s’installe dans un fauteuil et allume un cigare). Voyons, que puis-je faire pour vous ?
Le Monsieur. — Voici. Malgré mon innocence, n’est-ce pas, je vais plaider coupable… cependant… (hésitant) je voudrais…
Perrin (mielleux). — Voyons ne faites pas de manière avec moi, mon cher M. Untel… allez-y, allez-y…
Le Monsieur. — Je voudrais que la chose ne fût pas connue dans le public. Vous comprenez, je suis un homme comme il faut… et ma réputation…
Perrin. — Je comprends parfaitement… Je vais arranger cela… Mais j’y pense il y a ces diables de journaux…
Le Monsieur (air de mépris). — Ah ! les journaux ? Laissez faire je m’en charge (sortant un rouleau de billets de banque). Quelle sera l’amende, M. le juge… ?
Perrin. — Ne vous pressez pas… nous verrons à cela plus tard… la semaine prochaine…
(Poignées de main. Untel sort).
ÉPILOGUE
Le régisseur s’avance et récite ces vers :
« Selon que vous serez puissant ou misérable,
Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir ».