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À bout portant/Soyons pratiques

La bibliothèque libre.
Éditions du Devoir (p. 99-100).


Soyons Pratiques !

Quand donc enfin serons-nous pratiques !

Je lis à l’instant une nouvelle qui me jette dans la désolation : On fêtait l’autre soir, dit un journal, le deux cent cinquantième anniversaire de la mort de Lambert Closse.

Closse ? qui ça, Closse ?

« De tous les héros de la Nouvelle-France et particulièrement de Ville-Marie, continue le journal, il n’en est pas un qui soit plus digne de notre souvenir que Lambert Closse ».

Héros ! encore et toujours les grands mots des rêveurs : Closse ne devait être en somme qu’un raté, un dégénéré ou plutôt un hystérique, car, dit la feuille, qui le glorifie :

« Closse sauva au prix de sa vie, les sœurs Marie et Élisabeth Moyen, après un combat féroce avec les Iroquois… »

Et s’il y avait laissé sa peau ? Voilà qui l’aurait bien payé !

Sa folie d’abnégation devait le perdre :

« Closse mourut, termine le journal, face à ces ennemis les Peaux-Rouges et seul contre tous. Il avait exigé le départ de son serviteur et était resté seul à lutter. Il tomba mais en brave ! »

Quelle démence ! Il était seul, la minorité par conséquent, alors il n’avait qu’à se rendre et attendre que les Peaux-Rouges lui fissent des concessions. Au besoin il n’avait qu’à se mettre Indien. Les transfuges vivent vieux et meurent gras.

Mais c’était un brave et on en est encore à les citer, lui et ses pareils, comme modèles.

Je le répète : de grâce, soyons pratiques !

Fêtons, non pas les morts, mais les vivants. Glorifions ceux qui peuvent nous payer place du gouvernement sous l’ongle. Brûlons-leur l’encens au nez et fièrement donnons-les comme exemple à nos fils ! Ils leur apprendront à ne pas faire les braves pour des petites questions de droits et de justice.

Closse ? Pouah ! il n’était même pas député…