À genoux/L’Orient

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Alphonse Lemerre (p. 261-263).

XXVIII

L’ORIENT


Oh ! les femmes qu’on voit briller à l’Orient,
Secouant leurs cheveux sur leurs seins, et riant,
Et chantant par moments, et, pendant les silences,
Noyent dans leurs grands yeux les horizons immenses,
Le soleil, et les beaux nuages, tout l’azur !
Oh ! pourquoi suis-je né dans ce pays obscur ?
Si mon sort eût été conforme à mon idée,
J’eusse certainement vécu dans la Judée,
Près de Jérusalem-la-Sainte, dans un vieux
Bois solitaire. Et là j’aurais vu de mes yeux

Le soleil se coucher sur des astres moins tristes,
Les vierges aux beaux yeux violets, améthystes
Vivantes, m’ayant vu longtemps les regarder,
Pâles et de cet air divin qui veut céder,
M’eussent fait sous leurs beaux cheveux soporifiques
Dormir des sommeils blancs dans les nuits pacifiques.
Je serais resté là, bercé par leurs amours,
Rêvant toute la nuit à la blancheur des jours,
Tranquille, dans l’éclat des splendeurs aperçues,
Dormant, jusqu’au matin, où je les aurais vues
S’éveiller lentement dans mes bras, soulever
Leurs immenses corps blancs, et, lasses de rêver,
Disparaître, traînant avec un bruit sonore
Leurs lumineuses chevelures dans l’aurore !

Le jour, las de ces longs sommeils lascifs qui font
Le cœur faible, j’aurais vu fuir sous le profond
Ombrage des forêts de pins et de platanes
Les ondulations lentes des caravanes
Qui marchent au milieu du désert, emportant
L’immuable reflet du soleil éclatant,
Vers le sud merveilleux et la lointaine grève
Où le prophète mort fait son éternel rêve.

Puis un soir, las de tout ce qui s’échappe, empli
De l’immortel espoir qui succède à l’oubli,

Dégoûté de l’amour, puisqu’il est périssable,
Je me fusse enfoncé dans le désert de sable,
Et je fusse parti doux comme un pèlerin
Vers la grève où survit le Rêve souverain.

Oh ! les rêves qu’on voit briller dans les ténèbres
Orientales, comme un vol d’oiseaux funèbres,
Nous ravissant nos cœurs par l’invincible attrait
Du désert, de la mer Rouge et de la forêt,
Et des monts, et des vents furieux, et des femmes !
Oh ! l’Orient, patrie éternelle des âmes !