À genoux/L’impuissance de la femme

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Alphonse Lemerre (p. 122-123).

XVI

L’IMPUISSANCE DE LA FEMME


 
Quand elle eût vu dans mes prunelles resplendir
Le regret de l’avoir perdue et de partir,
Et qu’elle eût retiré sa main de ma poitrine,
Je lui criai : « Bénie à jamais la divine
Blessure que m’a faite avec tant d’âpreté
Toute ta souveraine et superbe beauté !
Oh ! soit-elle bénie à jamais, la blessure
Divine que m’a faite un jour ta chevelure
Et celle que m’ont faite encore tes doigts divins !
Bénis, tes yeux pareils aux soleils d’où tu vins

Et ton front grave et ta poitrine diaphane !
Car ce sont ces beautés qui dans le cœur profane
Des hommes font surgir un jour, comme un soleil,
Le rêve souverain, magnifique et vermeil !
Il faut donc une fois sentir cette piqûre.
Mais, je disparaîtrai, moi, de la terre obscure,
Et je m’en irai vivre autre part, en des deux
Magnifiques où par des bois silencieux
Je pourrai promener, ma chimère éternelle !
Car les rêves que font pressentir ta prunelle
Et les enchantements derniers que tu promets
Ne s’ouvrent à nos yeux que sur de hauts sommets
Où les hommes vivants ne peuvent pas atteindre.
C’est ainsi que n’ayant pas cessé de me plaindre,
Qu’ayant guidé mes pas chaque jour dans mes maux
Et consolé mon cœur chaque nuit par des mots
D’amour et chaque fois bercé sur ta poitrine
Ardente, comme eut fait une amante divine,
Tu n’as pu me donner à la place des jours
Promis, si beaux ! que des rêves tristes et lourds.
Mais maintenant, brûlé jusqu’au fond de mon âme
Par tes désirs et par tes extases de femme,
Je m’en vais, ne pouvant plus céder à la faim
Qui me presse, de voir les deux promis, enfin ! »