À genoux/Les deux Parts

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Alphonse Lemerre (p. 128-129).
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XX

LES DEUX PARTS


 
J’ai divisé mon cœur en deux : j’en ai donné
Une part, la plus large hélas ! et la meilleure,
À l’Être invulnérable aux pieds de qui je pleure,
L’autre à la Poésie, Ange qui m’a damné.

Monstres je vous entends dans le fond de mon âme
Pousser vos cris aigus et vous prendre aux cheveux.
Mais je ne sais de quel côté faire des vœux,
Tant vous luttez avec une pareille flamme,


Tant vous vous prodiguez, pour quelques coups perdus,
L’un et l’autre de coups certains et de morsures,
Tant les rouges ruisseaux coulant de vos blessures
Sont indistinctement mêlés et confondus !

Pourtant si je pouvais, un jour enfin, prétendre
À l’honneur d’acclamer le vainqueur du combat,
Je voudrais que ce fût l’idole qui tombât,
Et je ferais des vœux pour, toi, colombe tendre,

Pour toi, reine des cœurs, Poésie, en qui rien
N’est amer et qui viens me voir en ma retraite,
Plutôt que pour l’idole impure qui me traite
Comme un esclave et comme un misérable chien.