À genoux/Sextine
XXI
SEXTINE
Voici l’heure la plus douce, la plus charmante.
Le soir est descendu ; la nuit tombe à son tour.
Apaise dans ton cœur le mal qui te tourmente,
Et viens ! Dans l’air profond des nuits, ô mon amante,
Le cœur plus reposé, plus grave qu’en plein jour,
Comprend mieux la douceur du rêve et de l’amour.
Viens dans mes bras, ô mon premier, mon seul amour !
Tes pieds blancs sont charmants, ta poitrine est charmante,
Ta chair est éclatante et chaude comme au jour
Où, brûlé de désirs, je me tordais autour
De tes pieds, inflexible et dédaigneuse amante,
Prêtresse que le Dieu fatidique tourmente !
Le vent qui hurle et qui gronde dans la tourmente
Éveille dans nos cœurs le spectre de l’amour.
Vois-le grandir brillant et grave, ô mon amante,
Dans ta poitrine d’heure en heure plus charmante
Et dans tes vastes yeux où montent tour à tour
La noirceur de la nuit et la blancheur du jour.
Maîtresse, vois, la nuit nous recouvre ; le jour
Est un tyran dont l’œil impassible tourmente
Les cœurs passionnés et brûlants ; mais le tour
De la nuit est venu, du rêve et de l’amour.
Endormons-nous aux bras l’un de l’autre, charmante
Maîtresse des désirs, irrésistible amante !
L’homme ne souffre plus aux bras de son amante ;
Il ne ressent plus rien des misères du jour ;
Il rêve et, dans la nuit radieuse et charmante
Abandonnant le mal pesant qui le tourmente,
Se livre tout entier aux choses de l’amour ;
Et les oiseaux du ciel voltigent à l’entour.
Ne t’évanouis pas, ô nuit ! reste à ton tour.
Regarde entre mes bras dormir la chère amante
Dans le rêve des nuits futures, dans l’amour
Délicieux des cœurs ; et songe que le jour,
Dont le seul souvenir m’obsède et me tourmente,
Séparera mon front de sa tête charmante.
Charmante, c’est moi qui souffre et pleure à mon tour.
Ne me tourmente plus, insatiable amante.
Voici le jour qui vient. Quittons-nous, mon amour !