À genoux/Soir dans le Jardin

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Alphonse Lemerre (p. 178-179).

VIII

SOIR DANS LE JARDIN


 
Comme vous aviez l’air bonne, je vins m’asseoir
Près de vous. Dans le vague et pâle et triste soir,
Le jardin langoureux était plein de guitares,
Et j’entendais des voix persanes et tartares
Qui disaient les pays éloignés et les fleurs
Magnifiques dont sont éprises nos douleurs ;
Voix qui chantaient avec des langueurs insensées.
Et des odeurs d’opium parfumaient nos pensées.
Ce qui fait que je vins très-confiant m’asseoir
Près de vous dans le vague et pâle et triste soir.

J’avais rêvé de vous tout le long de ma route.
Ce soir-là vos deux grands yeux bleus avaient sans doute
De bien tendres et bien ardentes visions !
Oh ! les étranges mots d’amour que nous disions !
Un moment un corbeau traversa les ténèbres.
Oh ! dans la nuit le vol des grands oiseaux funèbres !
Comme il nous inquiète et comme il nous poursuit,
Le vol des grands oiseaux funèbres dans la nuit !
Comme il nous inquiète et comme il nous désole !
Vous ne me dites plus une seule parole.
Les étoiles semblaient plus lointaines. Soudain
Un grand parfum d’amour traversa le jardin.
Et je vous pris les bras ; et nous nous regardâmes ;
Et vos deux grands yeux bleus profonds semblaient deux âmes.