À la dure, roman (trad. H. Motheré)/4

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À la dure, roman (trad. H. Motheré)
La Revue blancheTome XXVI (p. 443-457).
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À la dure  [1]
CHAPITRE XI
Slade dans le Montana. — « En bordée. » — Devant le tribunal. — Attaque d’un juge. — Arrestation par les Vigilants. — Rassemblement des mineurs. — Exécution de Slade. — Lamentation de la femme. — Slade était-il un lâche ?

Et, en effet, deux ou trois ans après, nous en entendîmes parler de nouveau. La nouvelle arriva à la côte du Pacifique que le Comité de Vigilance du Montana (où Slade était allé à son départ de Rocky Ridge) l’avait pendu. Je trouve un compte rendu de l’affaire dans un petit livre palpitant dont j’ai cité un paragraphe dans le chapitre précédent : « Les Vigilants du Montana ; Compte-rendu véridique de la capture, du procès et de l’exécution de la fameuse bande de l’agent de route au service de Henri Plummer, par le professeur Thomas J. Dimsdale de Virginia City M. T. » Le chapitre de M. Dimsdale vaut la peine d’être lu, comme un spécimen de la manière dont la population de la frontière traite les criminels quand les cours de justice sont inefficaces. M. Dimsdale fait deux remarques à propos de Slade, qui toutes deux sont minutieusement exactes et dont l’une est excessivement pittoresque :

" Ceux qui ne le voyaient que dans son état normal le jugeaient tendre mari, hôte très hospitalier et gentleman courtois ; au contraire, ceux qui le rencontraient affolé par la boisson et entouré par une horde de voyous en armes le jugeaient un démon incarné… »

et celle-ci :

« Du fort Kearney en allant vers l’ouest on le craignait beaucoup plus que le Tout-Puissant. »

Pour la concision, la simplicité et la vigueur de l’expression je « soutiendrai » cette phrase contre toutes celles de la littérature. Le récit de M. Dimsdale est le suivant. Les italiques sont de moi :

« Après l’exécution des cinq hommes, le 14 janvier, les Vigilants considérèrent leur tâche comme presque terminée. Ils avaient délivré le pays dans une forte mesure des bandits et des meurtriers, et ils résolurent, en l’absence de l’autorité civile, régulière d’établir une Cour du Peuple où tous les coupables seraient jugés par un juge et un jury. C’était là la tentative la plus approchante de l’ordre social que permettaient les circonstances, et, bien que la stricte autorité de la loi lui fît défaut, la population était fermement résolue à en maintenir l’efficacité et à en imposer les décrets. On peut mentionner ici l’acte caractérisé qui fut pour Slade le dernier échelon de l’échafaud : avoir lacéré et piétiné un arrêt de cette cour, et mis en arrestation le juge Alex. Davis, de par un Derringer braqué sur lui et de ses propres mains.

« J. A. Slade était lui-même, nous en sommes instruits, un Vigilant ; il s’en vantait ouvertement et disait qu’il en savait aussi long qu’eux. On ne l’accusa jamais, on ne le soupçonna même pas de meurtre ni de vol commis dans ce territoire (le dernier crime ne lui fut jamais imputé nulle part) : mais qu’il eût tué plusieurs hommes dans d’autres localités était un fait notoire, et sa mauvaise réputation sous ce rapport fut un des arguments les plus puissants qui décidèrent de son sort, quand il fut finalement arrêté pour le délit mentionné plus haut. À son retour de Milk River, il se livra de plus en plus à la boisson, jusqu’à ce qu’enfin cela devînt pour lui et ses amis un exploit banal que de « prendre la ville ». On les voyait souvent, lui et une couple de ses acolytes, montés sur le même cheval, galoper dans les rues, en vociférant et en hurlant, en tirant des coups de revolver, etc… À maintes occasions, il entra à cheval dans les magasins, démolit les comptoirs, jeta dehors les balances et adressa le langage le plus insultant aux gens présents. La veille de son arrestation il avait donné une effroyable rossée à l’un de ses acolytes ; mais telle était son influence sur eux que cet homme pleura amèrement au pied de l’échafaud et supplia de toutes ses forces qu’on fît grâce à son chef. Il était devenu tout à fait habituel aux négociants et aux habitants, quand Slade était en bordée, de fermer les magasins et d’éteindre les lumières, dans la crainte de quelque outrage de sa part. Il était toujours prêt à payer la destruction capricieuse qu’il faisait des marchandises et du matériel, — dès qu’il était à jeun et qu’il avait de l’argent ; mais beaucoup de gens regardaient un paiement comme une mince compensation à l’outrage et ceux-là étaient ses ennemis personnels.

« De temps en temps Slade était averti, par des personnes qu’il savait bien ne pas vouloir le tromper, du terme fatal qu’aurait sa conduite. Il n’y eut pas un seul instant, pendant les semaines précédant son arrestation, où le public ne s’attendît à apprendre quelque forfait sanguinaire. La terreur de son nom même, et la présence d’une bande armée de caudataires qui n’obéissaient qu’à lui, empêchèrent une résistance qui se fût nécessairement terminée par la mutilation ou le meurtre immédiat de l’adversaire.

« Slade avait à plusieurs reprises été arrêté par ordre de la Cour dont nous avons décrit l’organisation, et il l’avait traitée avec respect, payant une ou deux amendes et promettant de payer le reste quand il aurait de l’argent ; mais dans les événements de la crise en question, il oublia même cette précaution, et, poussé à bout par la colère et par la haine de toute contrainte, il se jeta dans l’étreinte de la mort.

« Slade avait fait l’orgie et la « bacchanale » pendant toute la nuit. Lui et ses compagnons avaient rendu la ville un véritable enfer. Au matin, J.-M. Fox, le shériff, le rechercha, l’arrêta et l’amena au tribunal où il se mit à lui lire son mandat d’amener en guise de mise en accusation. Slade devint irrésistiblement furieux, et, saisissant, l’acte il le lacéra, le jeta par terre et le piétina. Aussitôt on entendit cliqueter les ressorts des revolvers de ses compagnons et on s’attendit à un dénouement violent. Le shériff n’essaya pas de le retenir ; mais, étant au moins aussi prudent que vaillant, il céda, laissant Slade maître de la situation, conquérant, et dominateur des cours lois et législateurs. C’était une déclaration de guerre, elle fut acceptée comme telle. Le Comité de Vigilance comprit alors que la question de l’ordre social et de la prépondérance des citoyens paisibles devait se trancher dès cet instant.

« Ils connaissaient le caractère de Slade et savaient parfaitement qu’il leur faudrait se soumettre à sa domination sans murmure ou sinon agir envers lui de manière à le mettre dans l’impossibilité d’exercer sa vengeance contre le Comité. Celui-ci, en effet, n’aurait pu espérer vivre dans le Territoire à l’abri de l’outrage ou de la mort, pas plus qu’il n’aurait pu le quitter sans rencontrer des amis de Slade que sa victoire eût enhardis et exaltés au point de leur faire braver toutes les conséquences de leurs actes.

« La veille il était entré à cheval dans le magasin de Dorris, et comme on le priait de s’en aller, il avait tiré son revolver et menacé de tuer l’homme qui lui parlait. Dans un autre cabaret où il introduisit aussi son cheval, il acheta une bouteille de vin et voulut la lui faire boire. On ne regardait plus ces choses-là comme extraordinaires, car souvent il était entré dans des cabarets et s’était mis à tirer sur les lumières, provoquant ainsi une panique échevelée,

« Un membre influent du Comité rencontra Slade et le prévint sur le ton calme et sérieux d’un homme qui comprend l’importance de ses paroles : « Slade, montez tout de suite à cheval et retournez chez vous, ou bien il y aura… un compte à payer. » Slade tressaillit et le regarda longuement de ses yeux noirs et perçants. « Que voulez-vous dire ? » s’enquit-il. « Vous n’avez pas le droit de me demander ce que je veux dire, » lui répondit-on avec douceur, « montez à cheval tout de suite et rappelez-vous ce que je vous dis. » Après un court silence il promit d’obtempérer, et, en effet, il se mit en selle ; mais, étant gris, à son ordinaire, il commença par appeler ses amis l’un après l’autre, et à la fin il sembla avoir oublié l’avertissement qu’il avait reçu et redevint bruyant, criant le nom d’une courtisane bien connue et l’accouplant à celui de deux hommes qu’il considérait comme les chefs du Comité, cela en guise de cartel, ou simplement peut-être en manière de bravade. Il est probable pourtant que la menace de danger personnel qui lui avait été intimée n’avait pas été entièrement oubliée, encore que, malheureusement pour lui, il choisît une manière sotte de montrer qu’il s’en souvenait. Il alla, en effet, trouver Alexandre Davis, le juge de la Cour, et, tirant un revolver armé, il le dirigea contre la tête d’Alexandre Davis en lui annonçant qu’il se voyait obligé de le retenir comme otage pour sa propre sécurité. Comme le juge resta parfaitement immobile et n’offrit aucune résistance à son adversaire, il ne s’en suivit aucun nouvel attentat. Auparavant, vu la situation critique, le Comité s’était réuni et avait enfin résolu de l’arrêter.

« Son exécution n’avait pas été décidée et, à ce moment, elle aurait été repoussée, sans conteste. Un émissaire courut au Nevada pour informer les chefs de ce qui se passait, car on désirait montrer qu’un sentiment unanime régnait à ce sujet dans toute la contrée.

« Les mineurs sortirent presque en masse, quittant leur travail et formant une colonne compacte, forte de six cents hommes environ, armés jusqu’aux dents ; ils marchèrent sur Virginia. Le chef de la troupe connaissait bien les dispositions de ses hommes. Il se lança en avant à franc étrier et, rassemblant à la hâte « l’exécutif », il leur dit clairement que les mineurs voulaient agir » et que, s’ils venaient, ils ne resteraient pas dans la rue à se faire fusiller par les amis de Slade, mais qu’ils s’empareraient de lui et le pendraient. La réunion était peu nombreuse et les habitants de Virginia répugnaient à l’action. L’annonce si importante du sentiment de la basse ville fut ainsi faite à une poignée d’hommes qui délibéraient derrière un chariot, dans la cour d’un magasin de la Grand’Rue.

« Le Comité était très désireux d’éviter les mesures extrêmes. Tous les devoirs qu’il avait remplis jusqu’à présent ne lui paraissaient rien à côté de la tâche qui lui incombait ; mais il fallait se décider, et vite. Finalement, on convint que si le corps entier des mineurs était d’avis de pendre Slade, le Comité leur laisserait leur liberté d’action. À toutes brides le chef des hommes du Nevada partit pour rejoindre son poste.

« Slade avait découvert ce qui se préparait et la nouvelle le dégrisa instantanément. Il entra dans le magasin de P. S. Pfout où était Davis et s’excusa de sa conduite, disant qu’il retirait tout.

« La tête de colonne déboucha dans la rue Wallace et s’avança au pas accéléré. Faisant halte en regard du magasin, le délégué exécutif du Comité se présenta et arrêta Slade qui fut aussitôt informé de son sort ; on lui demanda s’il avait des affaires à régler. Plusieurs personnes lui parlèrent en ce sens ; mais, à toutes ces interrogations, il resta sourd, absorbé par des réflexions terrifiées sur le danger de sa situation. Il implorait sans cesse sa grâce et la permission de voir sa chère femme. La malheureuse femme en question, entre laquelle et Slade existait une chaleureuse affection, habitait à ce moment leur ferme, sur le Madison. Elle était douée de beaucoup d’attraits ; grande, bien faite, d’un port gracieux, de manières agréables et, en outre, écuyère consommée.

« Un messager de Slade courut à cheval lui apprendre l’arrestation de son mari. À l’instant elle sauta en selle et, avec toute l’énergie que l’amour et le désespoir pouvaient prêter à un tempérament ardent et à une constitution robuste, elle poussa son coursier rapide le long des 18 kilomètres qui la séparaient de l’objet de son dévouement passionné.

« Pendant ce temps, un détachement de volontaires avait fait les préparatifs nécessaires à l’exécution dans la Vallée. Au-dessous de l’emplacement du bâtiment de Russel et Pfout, il y avait un coral dont les poteaux de porte étaient grands et forts. On réunit leurs sommets par une poutre, on y attacha la corde, et une caisse d’emballage servit de plateforme. On y amena Slade, environné d’une garde constituant la troupe la mieux armée et la plus nombreuse qui ait jamais paru dans le territoire du Montana.

« Le condamné s’était tellement épuisé en larmes, prières et lamentations qu’il lui restait à peine la force de se tenir debout, sous la poutre fatale. Il s’écriait fréquemment : « Mon Dieu ! mon Dieu ! faut-il donc mourir ? O ma femme chérie ! »

Au retour de la corvée des travailleurs, on rencontra quelques amis de Slade, citoyens d’une honnêteté à toute épreuve et membres du Comité, mais qui étaient personnellement attachés au condamné. En apprenant la sentence, l’un d’eux, homme au cœur solide, tira son mouchoir et s’en alla en pleurant comme un enfant. Slade demandait toujours à voir sa femme de la manière la plus touchante, et il paraissait cruel de repousser sa requête, mais les conséquences sanglantes qui auraient sûrement suivi l’inévitable tentative de délivrance que sa présence et ses objurgations auraient provoquée, firent qu’on la repoussa tout de même. On envoya chercher plusieurs personnes pour l’assister à ses derniers moments ; l’une d’elles (le juge Davis) fit une courte harangue au peuple, mais sur un ton si bas qu’il fut impossible de l’entendre, sauf à ses voisins immédiats. Un de ses amis, à bout de supplications, retira son habit et déclara qu’on ne pourrait pendre le prisonnier avant de l’avoir tué lui-même. Une centaine de fusils le visèrent aussitôt ; sur quoi il tourna le dos et s’enfuit, mais on le ramena, on lui fit ramasser son habit et promettre qu’à l’avenir il aurait une conduite paisible.

« À peine put-on trouver un notable de Virginia, quoique une multitude d’habitants se fussent joints aux rangs de la garde quand l’arrestation eut lieu. Tous déploraient la cruelle nécessité qui imposait l’exécution.

« Tout étant prêt, on lit le commandement : « Faites votre devoir, les hommes ! » La caisse d’emballage fut soudain repoussée de dessous ses pieds, et il mourut aussitôt.

« Le corps fut descendu et on le transporta à l’hôtel Virginia, où il fut exposé dans une chambre sombre. La compagne infortunée et désormais solitaire du défunt arriva, à toute vitesse, pour trouver que tout était fini et qu’elle était veuve. Sa douleur et ses cris déchirants furent de terribles preuves de la profondeur de son attachement à son mari disparu, et un temps considérable s’écoula avant qu’elle pût maîtriser l’explosion de ses sentiments. »

Il y a dans la nature du spadassin quelque chose de tout à fait incompréhensible, du moins qui le paraît bien. Armé et libre, le véritable spadassin fait front contre une armée et se bat jusqu’à ce qu’il soit déchiqueté par les balles ; et pourtant, quand il est maté et au pied de l’échafaud, il pleure et supplie comme un enfant. Les mots ne coûtent rien et il est aisé d’appeler Slade un lâche (tous les suppliciés qui ne meurent pas crânement sont tout de suite traités de lâches par les gens irréfléchis), et quand nous lisons de Slade qu’il « s’était si épuisé en larmes, en prières et en lamentations, qu’il lui restait à peine la force de rester debout sous la poutre fatale », ce mot déshonorant se présente à l’instant. Pourtant, en bravant souvent et en provoquant la vengeance des bandes de coupe-jarrets des Montagnes Rocheuses par le meurtre de leurs camarades et de leurs chefs, sans jamais faire mine de se cacher ni de fuir, Slade prouva qu’il était un homme d’une bravoure sans égale. Pas un lâche n’aurait osé cela. Maint lâche avéré, maint poltron pusillanime, grossier, brutal, dégradé a prononcé son dernier discours sans un tremblement dans la voix et s’est lancé dans l’éternité avec ce qui semblait la plus calme intrépidité ; ainsi nous sommes fondés à conclure de la bassesse intellectuelle de tels êtres que ce n’est pas le courage moral qui leur a donné cette force. Alors, si le courage moral n’est pas la qualité requise, quelle est donc celle qui manquait à ce Slade intrépide ? à cet homme poli, aimable, forcené et sanguinaire, qui jamais n’hésita à prévenir ses plus criminels ennemis qu’il les tuerait n’importe où et n’importe quand il les rencontrerait ! Je crois que c’est un problème qui mériterait d’être approfondi.

CHAPITRE XII
Convoi d’émigrants mormons. — Le cœur des Montagnes Rocheuses. — Soude pure. — Glacière naturelle. — Un habitant tout entier. — En vue de la « Neige Éternelle ». — La Passe du Sud. — Les ruisseaux divergents. — l’acteur infidèle. — Rencontre avec de vieux amis. — Un melon d’eau perdu. — En descendant la montagne. — Scène de désolation. — Perdu dans les ténèbres. — Un avis inutile. — Les troupes des États-Unis et les Indiens. — Spectacle sublime. — Encore une illusion dissipée. — Chez les Anges.

Juste au delà de la station du déjeuner, nous rattrapâmes une caravane d’émigrants mormons de trente-trois chariots ; cheminant péniblement et poussant leur troupeau de vaches à la débandade, ils comptaient des douzaines d’hommes, de femmes et d’enfants, grossièrement vêtus et la mine triste, qui avaient marché ainsi qu’ils marchaient maintenant, jour après jour, pendant huit longues semaines et qui avaient couvert en ce laps de temps la distance que notre malle-poste avait parcourue en huit jours et trois heures, 1 284 kilomètres ! Ils étaient poudreux, hirsutes et déguenillés et ils avaient l’air si las !

Après déjeuner nous nous baignâmes dans le Horse Creek, cours d’eau (auparavant) limpide et bouillonnant, volupté appréciée, car il était bien rare que notre furieuse malle-poste s’arrêtât assez longtemps pour nous permettre pareil luxe. Nous changions de chevaux dix ou douze fois par vingt-quatre heures, ou plutôt nous changions de mulets, six mulets, et cela ne nous prenait presque chaque fois que quatre minutes. C’était enlever la besogne. Lorsque notre voiture approchait grand train d’une station, six mulets harnachés sortaient alertement de l’écurie et, environ en un clin d’œil, l’ancien attelage était emmené, le nouveau attelé et nous repartis.

Dans l’après-midi nous vîmes le Sweetwater Creek, Independence Rock, la Porte du Diable et la Brèche du Diable. Ces derniers étaient des spécimens sauvages de paysages tourmentés et pleins d’intérêt ; nous étions à présent au cœur des Montagnes Rocheuses. Nous côtoyâmes aussi le Lac de Soude ou d’Alcali. Le cocher nous dit que les Mormons venaient souvent là, de la Ville du Grand Lac Salé, tirer de la soude, que quelques jours avant ils avaient extrait de terre (c’était un lac sec) assez de soude pure pour charger deux chariots et que, quand ils auraient amené à Lac Salé ces deux chargements d’une drogue qui ne leur coutait rien, ils les vendraient à 1 fr. 25 la livre.

Dans la soirée, nous passâmes auprès d’une très remarquable curiosité, dont nous avions beaucoup entendu parler depuis un jour ou deux et que nous étions anxieux de voir. C’est ce qu’on pourrait appeler une glacière naturelle. Nous étions au mois d’août et, dans la journée, la chaleur était étouffante ; cependant, à l’une des stations, en grattant le sol sur une côte, à l’abri d’une rangée de rochers et à une profondeur de 15 centimètres, on pouvait tailler de purs blocs de glace, durs, compactement congelés et clairs comme du cristal.

Avant l’aurore nous nous remîmes en route et bientôt, tandis que nous étions assis, les rideaux levés, dégustant notre pipe du réveil et regardant la première splendeur du soleil descendre sur le long déploiement des pics sourcilleux, illuminer et dorer crête après crête et sommet après sommet comme si le Créateur invisible passait en revue ses vétérans chenus et qu’ils le saluassent d’un sourire, nous arrivâmes en vue de la Ville de la Passe du Sud. L’hôtelier, le maître de poste, le forgeron, le maire, le garde-champêtre, le crieur de ville et le premier habitant et propriétaire, tout cela sortit pour nous saluer joyeusement et nous lui souhaitâmes le bonjour. Il nous donna quelques nouvelles des Indiens et quelques nouvelles des Montagnes-Rocheuses et nous lui donnâmes en retour des nouvelles des Prairies. Il se retira ensuite dans sa grandeur solitaire et nous grimpâmes de nouveau parmi les pics hérissés et les nuages déchirés. La Ville de la Passe du Sud consistait en quatre cabanes de rondins, dont l’une inachevée, et le personnage possesseur de toutes ces charges et dignités était le tout premier des dix habitants de l’endroit. Figurez-vous l’hôtelier, le maître de poste, le forgeron, le maire, le garde-champêtre, le crieur et le principal habitant condensés tous dans une seule personne et encaqués dans la même peau. Bémis prétendit que c’était un parfait revolver Allen de dignités. Il ajoutait que, si ce personnage venait à mourir comme maître de poste ou comme forgeron ou à la fois comme maître de poste et forgeron, la population pourrait s’en tirer ; mais que, s’il venait à mourir d’un bout à l’autre, ce serait une perte effroyable pour la communauté.

Trois kilomètres plus loin que la Ville de la Passe du Sud, nous vîmes pour la première fois cette mystérieuse merveille que tous les enfants orientaux qui n’ont pas voyagé admettent sans hésitation, mais qui les stupéfie tout de même à coup sur quand ils la voient de leurs propres yeux : des bancs de neige au cœur de l’été. Nous nous trouvions perchés tout près du ciel et nous savions à tous moments que nécessairement nous rencontrerions bientôt de hauts sommets revêtus de cette « neige éternelle » si communément citée dans les livres, et pourtant quand je la vis briller au soleil sur de majestueux dômes dans le lointain, en plein mois d’août, pendant que mon habit était au crochet parce qu’il faisait trop chaud pour le mettre, je fus aussi radicalement surpris que si jamais la chose ne m’était venue aux oreilles. En vérité, « voir c’est croire » et d’innombrables gens passent leur longue vie à croire qu’ils croient certaines choses, universellement reconnues et bien établies, sans soupçonner que, si une fois on les confrontait avec ces choses, ils découvriraient qu’ils ne les croyaient pas réellement auparavant, mais qu’ils croyaient seulement y croire.

En peu de temps une véritable troupe de pics se montrèrent, étreints par de longues griffes de neige scintillante, et portant par-ci par-là, à l’ombre de leur flanc, une petite tache de neige solitaire ne paraissant pas plus grande qu’un mouchoir de dame, mais en réalité aussi grande qu’un square.

Maintenant, enfin, nous étions pour de bon dans la célèbre Passe du Sud, et nous nous précipitions gaiement en avant, bien au dessus du monde ordinaire. Nous étions juchés sur la cime extrême de la grande chaîne des Montagnes Rocheuses vers laquelle nous avions grimpé, patiemment grimpé, incessamment grimpé durant plusieurs nuits et plusieurs jours de suite, et autour de nous se groupait une assemblée de rois de la nature de 3 500, 4 000 et même 4 500 mètres de haut, vieux géants qui auraient été obligés de se baisser pour distinguer le Mont Washington, dans le crépuscule. Nous planions à une altitude si aérienne au-dessus des populations rampant sur la terre, que, de temps en temps, lorsque les barrières de massifs montagneux s’ouvraient à la vue, il nous semblait pouvoir embrasser du regard et contempler le vaste globe en entier, avec ses panoramas changeants de montagnes, de mers et de continents s’étendant au loin à travers le mystère de la brume d’été.

En général, la Passe suggérait plutôt l’idée d’une vallée que celle d’un pont suspendu dans les nuages, mais, à un certain endroit, elle inspirait bien cette dernière idée. Là, le tiers supérieur d’un ou deux dômes violets et majestueux se dressait à droite et à gauche au-dessus de notre altitude et nous donnait la sensation d’un grand abîme caché recelant des sommets, avec des plaines et des vallées dans le bas, que nous nous figurions pouvoir découvrir en allant regarder par-dessus le bord du plateau. Ces sultans des déserts portaient à leur turban des amoncellements de nuages qui se disloquaient de temps en temps et dérivaient, effilochés et déchirés, traînant leurs continents d’ombre après eux ; bientôt ils s’accrochaient à un pic de rencontre, l’enveloppaient et y faisaient leurs nids, puis se disloquaient de nouveau et laissaient le pic violet, comme ils avaient quitté les coupoles violettes, duveté et blanchi de neige fraîche pondue. À leur passage, ces monstrueux lambeaux de nuages s’abaissaient et glissaient droit au-dessus de la tête du spectateur, lui balayant leurs haillons si près de la figure que son premier mouvement était de se reculer à leur approche. À l’endroit en question, on pouvait voir au-dessous de soi un monde de crêtes décroissantes et de gorges descendant de plus en plus bas, jusqu’à une vague plaine contenant un fil, qui était une route, et des poignées de plumes, qui étaient des arbres, un joli tableau dormant au soleil, mais avec une ombre se déployant au-dessus et en noircissant l’image de plus en plus profondément, sous la menace d’un orage prochain ; et alors, tandis qu’aucune vapeur, aucune ombre n’obscurcissait le plein jour brillant de son perchoir, l’observateur contemplait la tempête éclatant là, dans le bas ; il voyait les éclairs sauter de cime en cime, les rideaux de pluie remonter les gorges et il entendait le tonnerre résonner, détonner et rugir. Nous eûmes ce spectacle, familier à beaucoup, mais une nouveauté pour nous.

Nous roulions toujours joyeusement. Bientôt au sommet même (quoique depuis une heure ce fût tout le temps le sommet et tout le temps la même altitude), nous arrivâmes à une source qui déversait ses eaux par deux ouvertures et dans deux directions opposées. Le conducteur nous apprit qu’un de ces ruisseaux que nous avions devant nous commençait là un voyage vers l’ouest jusqu’au Golfe de Californie et à l’Océan Pacifique à travers des centaines et même des milliers de kilomètres de solitudes désertes. Il nous dit que l’autre quittait son pays au sein des pics neigeux pour un voyage semblable vers l’est, et nous savions que longtemps après que nous aurions oublié le petit ruisseau, il continuerait à se frayer patiemment un chemin le long des flancs de la montagne, au fond des gorges et entre les rives du Yellowstone ; que, plus tard, il se joindrait au Missouri et coulerait au milieu de plaines et de déserts inconnus et de terres non encore découvertes ; qu’il y ajouterait un long pèlerinage tourmenté parmi des troncs d’arbres, des épaves et des bancs de sable. Il entrerait dans le Mississipi, toucherait les quais de Saint-Louis, dériverait toujours, traversant des bas fonds et des canaux de rochers ; puis d’interminables séries de lacets vastes et sans fond, murés de forêts continues ; puis des défilés mystérieux et des passages secrets entre des îles boisées ; puis encore des séries de lacets bordés d’immenses étendues de cannes à sucre luisantes et non plus de sombres forêts ; ensuite la Nouvelle-Orléans et de nouvelles séries de courbes, et finalement après deux longs mois d’incessants tracas, émotions, plaisirs, aventures et périls terribles venant des gosiers altérés, des pompes et de l’évaporation, il passerait le Golfe et entrerait dans le repos sur le sein de la mer du Tropique, pour ne plus jamais voir ses pics neigeux ni les regretter.

Je déposai sur une feuille d’arbre un message mental à l’adresse des amis à la maison et je la livrai au courant. Mais je n’avais pas mis de timbre dessus, et on la retint quelque part pour défaut d’affranchissement.

Sur le sommet nous rattrapâmes un convoi d’émigrants de beaucoup de chariots, de beaucoup d’hommes et de femmes fatiguées, de beaucoup de vaches et de brebis découragées. Dans le cavalier déplorablement poudreux qui dirigeait l’expédition je reconnus Jean ***. De toutes les personnes au monde qu’on pouvait rencontrer à des milliers de kilomètres de la maison, c’était la dernière à laquelle je me serais attendu. Nous avions été camarades d’école et chaleureux amis pendant des années. Mais une espièglerie puérile de ma part avait brisé cette amitié et elle n’avait jamais été renouée. Voici le fait en question.

J’avais l’habitude d’aller voir à l’occasion un journaliste dont la chambre était au troisième étage et donnait sur la rue. Un jour ce journaliste me donna un melon d’eau que je me préparai à dévorer sur place, mais, regardant au hasard par la fenêtre, je vis Jean debout droit au-dessous et un désir irrésistible me prit de lui lâcher le melon sur la tête, ce que je fis immédiatement. Ce fut moi qui y perdis, car cela gâta le melon, et Jean ne me pardonna jamais ; nous cessâmes toute relation et nous nous perdîmes de vue, mais maintenant nous nous retrouvions en d’autres circonstances.

Nous nous reconnûmes l’un l’autre simultanément et nous nous serrâmes la main aussi chaleureusement que s’il n’y avait jamais eu de refroidissement entre nous et sans y faire aucune allusion. Toute notre animosité fut enterrée et le seul fait de notre rencontre dans ce lieu solitaire si loin de chez nous suffit à effacer tout souvenir qui ne fût pas agréable ; nous nous séparâmes de nouveau avec de sincères « Bon voyage ! » et Dieu vous bénisse ! » de part et d’autre.

Nous avions passé bien des heures ennuyeuses à escalader les longs gradins des Montagnes Rocheuses, nous commençâmes alors à les descendre et nous détalions rondement.

Nous laissâmes les chaînes neigeuses des Montagnes de Wind River et d’Uinta derrière nous, courant en toute hâte, toujours au milieu de paysages splendides, parfois entre de longues rangées de squelettes blanchis de mulets et de bœufs, monuments de l’énorme émigration d’autrefois ; et de place en place s’élevaient des planches debout ou de petits tas de pierre qui, nous dit le cocher, marquaient le lieu de repos de dépouilles plus précieuses. C’était bien la terre la plus solitaire pour une tombe ! Terre abandonnée au cayote et au corbeau, ce qui est synonyme de désolation et de solitude complète. Dans les nuits humides et noires, ces squelettes épars émettaient une hideuse petite lueur comme de très pâles flaques de clair de lune étoilant le désert amorphe. Cela provenait du phosphore contenu dans les os. Mais nulle explication scientifique ne pouvait empêcher quelqu’un de frissonner en passant en vue d’une de ces lumières spectrales, sachant qu’un crâne de mort la produisait.

À minuit, la pluie commença, et jamais je n’en ai vu de pareille : il est vrai que je n’ai pas vu celle-ci, car il faisait trop noir. Nous assujettîmes les rideaux tirés, nous les calfatâmes même avec des habits, mais la pluie ruisselait à vingt endroits, malgré tout. On ne pouvait y échapper. Si on retirait ses pieds d’une cascade, on exposait son corps à une autre, et en déplaçant son corps de nouveau on en retrouvait une ailleurs. Si on se débarrassait des couvertures trempées pour se mettre sur son séant, on était sur d’avoir une gouttière dans le cou. Pendant ce temps, la voiture errait au milieu d’une plaine couverte d’entonnoirs béants, car le cocher, n’y voyant pas à cinq centimètres de son nez, ne pouvait se maintenir dans la route, et le grain descendait en nappes si impitoyables qu’il ne fallait pas penser à arrêter les chevaux. À la première accalmie le conducteur partit avec des lanternes pour chercher le chemin, et la première pointe qu’il poussa fut au fond d’un trou de plus de quatre mètres de creux, sa lanterne le suivant comme un météore. Dès qu’il toucha le fond il cria à tue-tête :

— Ne venez pas par ici !

À quoi le cocher qui regardait par dessus le bord du précipice où il avait disparu, répliqua d’un air scandalisé : « Me prenez-vous pour un sacré imbécile ? »

Le conducteur passa plus d’une heure à retrouver la route, chose qui nous montra à quel point nous nous étions égarés et quels hasards nous avions couru. Il découvrit l’empreinte de nos roues sur l’extrême limite du danger, à deux endroits. J’ai toujours été content que nous n’ayons pas été tués cette nuit-là. Je n’ai pas de raison particulière pour ça, mais j’en ai toujours été content.

Dans la matinée, le dixième jour depuis notre départ, nous traversâmes la Rivière Verte, beau cours d’eau limpide. Nous restâmes en détresse dedans, l’eau affleurant au sommet de notre lit de sacs et nous y attendîmes que des attelages de renfort vinssent nous hisser en haut de la pente rapide de la berge. Mais c’était de belle eau fraîche, et d’ailleurs elle ne pouvait trouver sur nous de nouveaux endroits à mouiller.

À la station de la Rivière Verte nous déjeunâmes : des biscuits grillés, des côtelettes fraîches d’antilope et du café, le seul repas décent auquel nous ayons goûté entre les États-Unis et la Ville du Grand Lac Salé. Représentez-vous la monotonie exécrable des trente précédents pour que ce simple déjeuner soit resté après tant d’années dans ma mémoire et y proémine comme une tour.

À cinq heures de l’après-midi nous atteignîmes le Fort Bridger à 189 kilomètres de la Passe du Sud, à 1 650 kilomètres de Saint-Joseph. À 84 kilomètres plus loin, près du commencement du défilé de l’Écho, nous rencontrâmes 60 soldats des États-Unis venant du camp Floyd. La veille ils avaient tiré sur trois ou quatre cents Indiens qu’ils supposaient rassemblés pour de mauvais desseins. Dans le combat qui s’ensuivit, quatre Indiens furent faits prisonniers, et le gros de la troupe poursuivi pendant 6 kilomètres, mais personne ne fut tué. Ceci paraissait sérieux. Nous eûmes la velléité de descendre et d’entrer dans les rangs des soixante soldats ; mais, réfléchissant que les Indiens étaient quatre cents, nous décidâmes de continuer et de nous joindre aux Indiens.

Le défilé de l’Écho a 32 kilomètres de long. Il ressemblait à une longue rue unie et étroite avec une pente descendant graduellement, et enfermée entre d’énormes murailles perpendiculaires d’un conglomérat grossier, hautes de 130 mètres par endroit et bastionnées comme les châteaux du moyen âge. Il y avait là le tronçon de route le plus irréprochable des montagnes, et le cocher dit qu’il allait « lâcher ses bêtes ». Il le fit et si les trains express du Pacifique fendent l’air plus vite que nous dans notre malle-poste, j’en envie aux voyageurs le divertissement. On eût dit que nous avions ramassé nos roues et que nous volions, et les matières postales étaient soulevées en l’air et se tenaient en équilibre dans l’atmosphère. Je ne suis pas enclin à l’exagération, et quand je dis une chose, c’est qu’elle est vraie.

Cependant le temps presse. À quatre heures du soir nous arrivâmes au sommet de la Grosse Montagne, à 25 kilomètres de la Ville du Lac Salé, pendant que le monde entier était dans la gloire du soleil couchant et que le plus stupéfiant panorama de pics et de montagnes que nous ayons encore rencontré se démasquait soudain à notre vue. Nous contemplions ce spectacle sublime de dessous l’arche d’un brillant arc-en-ciel. Jusqu’au cocher transcontinental qui arrêta ses chevaux pour regarder !

Une demi-heure ou une heure plus tard, nous changeâmes de chevaux et nous soupâmes chez un « Ange Destructeur » mormon. Les « Anges Destructeurs », si je comprends bien, sont des saints du Dernier Jour qui sont triés par leur Église pour amener la disparition permanente des citoyens gênants. J’avais beaucoup entendu parler de ces Anges Destructeurs mormons, ainsi que de leurs actes mystérieux et sanglants et, quand j’entrai dans la maison de celui-ci, je tenais mon frisson tout prêt. Mais, hélas pour tous nos romans ! ce n’était qu’un vieux sacripant, bruyant, sacrant et répugnant !… Il était assez meurtrier, c’est possible, pour remplir le programme d’un destructeur, mais voudriez-vous qu’un Ange manquât de dignité ? pourriez-vous supporter un Ange en chemise sale et sans bretelles ? pourriez-vous respecter un Ange avec un rire de cheval et un bagout de boucanier ?

Il y avait d’autres sacripants présents, les camarades de celui-ci. Il n’y avait qu’un homme qui eût la tournure d’un gentleman, le fils de Heber C. Kimball, grand, bien fait, et âgé de trente ans à peu près. Un tas de souillons couraient çà et là avec des cafetières, des assiettes de pain et d’autres ingrédients du souper et on disait que c’étaient les femmes de l’Ange, ou du moins quelques-unes d’entre elles. Evidemment elles l’étaient, car des « aides » mercenaires ne se seraient pas laissé invectiver, comme cet homme les invectivait, par aucun ange du ciel sans parler de ceux qui viennent de l’endroit d’où celui-ci sortait.

Telle fut notre première expérience au sujet de « l’institution particulière » de l’Ouest et elle ne fut pas très séduisante… Nous ne nous attardâmes pas à l’observer, mais nous continuâmes notre chemin en toute hâte vers la patrie des Saints du Dernier Jour, la forteresse des Prophètes, la capitale de l’unique monarchie absolue de l’Amérique, la Ville du Grand Lac Salé. À la nuit tombante, nous prîmes sanctuaire dans la Maison du Lac Salé et nous ouvrîmes nos bagages.

(À suivre.)
Mark Twain

Traduit de l’anglo-américain par Henri Motheré.


  1. Voir La revue blanche des 1er  et 15 octobre et 1er  novembre 1901.