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À la mère polonaise (traduction Ostrowski)

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Pour les autres éditions de ce texte, voir À la mère polonaise.

Traduction par Christien Ostrowski.
Œuvres poétiques complètes de Adam Mic̜kiewicz, tome 1Librairie Firmin Didot Frères, Fils et Cie1 (p. 162-163).

VII.

MÈRE POLONAISE.


Ô mère polonaise ! lorsque l’éclair du génie brille aux paupières de ton fils, que l’antique valeur et l’antique fierté font une auréole à son front si jeune ; lorsque, fuyant les jeux de ses camarades, il s’en va chez le vieillard qui lui chante les airs de la patrie, ou bien, le front baissé, il écoute pensif les histoires des ses aïeux : ô mère polonaise ! préserve ton enfant de ces jeux terribles. Cours plutôt te jeter à deux genoux devant l’image de la Vierge douloureuse, et regarde le glaive qui déchire son sein ; car le sort va te frapper d’une atteinte aussi cruelle ! Oui, tandis que la paix fait refleurir le monde entier, dans une alliance de peuples, de dogmes, d’opinions, ton fils est appelé à des combats sans gloire, au trépas du martyre… sans espoir de résurrection. Ordonne-lui plutôt d’aller méditer dans la caverne solitaire ; étendu sur la paille, de respirer une vapeur moite et glacée, de partager sa couche avec le reptile immonde. Là, qu’il apprenne à déguiser ses joies et ses colères ; à creuser sa pensée comme un abîme, à rendre ses discours mystérieux et funestes comme la contagion : à se composer, comme le serpent, un maintien de froideur et d’humilité. Le Sauveur, parmi les enfants de Nazareth, portait déjà la croix sur laquelle il a sauvé le monde ; ô mère polonaise ! j’aimerais mieux voir cet enfant jouer avec les instruments de ses jeux à venir !

Que sa main s’accoutume à la chaîne, qu’elle apprenne à traîner l’infâme tombereau ; que son front ne pâlisse pas devant la hache de l’exécuteur et ne rougisse point à l’aspect de la corde. Car il n’ira pas, comme les guerriers d’autrefois, arborer la victoire sur les murs de Solyme ; ni comme les soldats du drapeau tricolore, creuser le sillon de la liberté, l’arroser de sang[1]. Un espion ténébreux lui jettera le défi, il lui faudra combattre un tribunal parjure, la lice du tournoi sera le cachot souterrain, un ennemi tout-puissant sera son arbitre et son juge.

Vaincu, l’arbre desséché de la potence sera son monument funèbre ; sa gloire et son immortalité, les pleurs bientôt consolés d’une femme, et les longs entretiens nocturnes de ses concitoyens.

Genève, 1830.

  1. M. Michel Podczaszynski, historien et littérateur distingué, trop tôt enlevé à sa patrie, a le premier imprimé cette poésie dans son Mémorial ; mais il a commis une erreur de date qu’il importe de rectifier. Ce n’est point le 1er novembre 1831 qu’elle fut composée, mais évidemment durant cette période de quatre mois qui suivit la révolution de juillet et précéda l’insurrection de novembre. Comment cette seule poésie a engendré toute ma traduction des œuvres de Mickiewicz, je l’ai raconté dans ma préface.