À la surface des choses/L’énergie/Formes de l’énergie

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FORMES DE L’ÉNERGIE

Nous distinguerons autant de formes de l’énergie que nous pourrons distinguer de types de changements efficients, impliquant un apport d’énergie s’ils sont positifs, un départ s’ils sont négatifs.


35. Énergies potentielles. — La connaissance des divers genres de travaux conduit à définir les diverses énergies potentielles.

Un ressort que l’on comprime ou distend emmagasine par ce fait de l’énergie potentielle élastique, qui abandonnera le ressort quand il se détendra, par exemple lorsque l’arc qu’on avait bandé se détendra en lançant une flèche.

C’est encore de l’énergie potentielle qui s’emmagasine dans un système de masses qui s’attirent, lorsqu’on les écarte les unes des autres, ce qu’on a pu obtenir par descente de poids, c’est-à-dire au fond par dépense d’énergie potentielle de gravitation. Symétriquement, de l’énergie potentielle est sortie d’un système où des masses qui s’attirent se sont rapprochées les unes des autres.

On se demandera où peut être localisée cette énergie potentielle, étant donné que des corps qui s’attirent ne subissent aucun changement intrinsèque du fait qu’ils s’approchent ou s’éloignent les uns des autres. Pour essayer de le comprendre, rappelons-nous (V, 41) que toute force appliquée à un point matériel est nécessairement exercée par l’espace où ce point est situé, espace qui a une réalité physique, et non pas seulement géométrique. Ainsi nous devrons admettre, sans savoir en dire plus, que par exemple l’énergie potentielle de gravitation est une modification physique de l’espace où baignent les corps qui s’attirent, fonction de l’écartement de ces corps, et d’autant plus grande qu’ils sont plus écartés. Nous envisagerons de même par la suite les énergies potentielles électrique et magnétique.


36. Potentiel de gravitation. — Considérons le champ de gravitation créé par une masse . Le travail qu’il faut dépenser pour amener du point donné A jusqu’à un autre donné B, une petite masse située à la distance de M est en grandeur et en signe ( étant la constante de gravitation) :


expression évidemment indépendante du chemin suivi entre A et B. Si le champ est dû à plusieurs masses, ce travail devient :

Le quotient de ce travail par la petite masse déplacée, ou, en d’autres termes, le travail nécessaire pour amener l’unité de masse de A en B définit l’excès du potentiel en B sur le potentiel en A, relativement aux masses qui créent le champ.

Ainsi, au facteur près, cet accroissement de potentiel est mesuré par l’accroissement de l’expression (étendue à toutes les masses qui créent le champ) quand on le calcule d’abord en A, puis en B.

Nous penserons que le potentiel est une propriété de l’espace où baignent les masses qui s’attirent, propriété physique non perçue par nos sens, mais dont nous savons mesurer la variation entre deux points, par la variation de la fonction . L’un de ces points, arbitrairement fixé (l’autre variant) pourra être pris pour origine des potentiels. Si cette origine est prise à l’infini, nous aurons, pour tout point  :

Une surface équipotentielle est définie par la condition que le potentiel y est constant (il ne faut aucun travail pour transporter une masse d’un point à un autre d’une telle surface).

Soient , deux surfaces équipotentielles très voisines (fig. 10), avec différence de potentiel Soit un point quelconque sur , et sur un point voisin de .
Fig. 10.
Si est la composante du champ dans la direction , nécessairement est égal à  ; est donc maximum et devient le champ en quand est normal à  ; en chaque point d’une surface équipotentielle le champ est perpendiculaire à la surface (fig. 10). Donc la ligne de force qui passe par un point quelconque d’une surface équipotentielle, étant tangente au champ, est normale à la surface équipotentielle.


37. L’énergie potentielle de gravitation. — L’énergie potentielle de gravitation d’un système de masses se calcule comme il suit : soit, au point où se trouve l’une de ces masses, le potentiel dû aux autres masses (origine des potentiels à l’infini). Imaginons la distribution de même configuration, mais où toutes les masses (et par suite le champ en chaque point) seraient multipliées par un facteur inférieur à 1 ; en sorte que le potentiel au point où est la masse serait . Pour amener cette distribution de l’état à l’état on pourrait amener de l’infini les masses ou en recevant le travail :

Pour passer de l’état où est nul (pas de masses) à l’état où est égal à 1 (configuration donnée), il faudrait donc recevoir :

Cette expression mesure la diminution de l’énergie potentielle quand les masses, d’abord infiniment éloignées les unes des autres, prennent leur distribution actuelle. Par exemple, deux masses à la distance , ont perdu par leur rapprochement l’énergie potentielle qui deviendrait infinie si ces masses pouvaient se rapprocher indéfiniment, ce qui indique, ou que toute masse finie a une dimension minimum, ou que la loi de Newton cesse de s’appliquer à très petite distance.

Nous développerons des considérations de même genre pour les énergies potentielles électrique et magnétique (VIII, Électricité).


38. Énergie de mouvement. — Des corps en mouvement par rapport au sol constituent une réserve d’énergie, un « capital », qui permet, par l’arrêt de ces mouvements, d’acheter une quantité définie de travail résistant, ou d’énergie potentielle. Par le fait de leur mouvement, ces corps possèdent donc une forme d’énergie qui est dite énergie de mouvement, ou énergie cinétique (peut-être d’abord considérée au xviiie siècle).

Il faut prendre garde toutefois qu’un corps en mouvement, disons un obus de 10 kilogrammes animé par rapport au sol d’une vitesse de 500 mètres par seconde, ne possède pas plus en soi d’énergie de mouvement qu’il ne possède une vitesse absolue. C’est le système sol-obus, avec vitesse relative de 500 m/sec., qui possède cette énergie. Il faut au moins deux objets en mouvement l’un par rapport à l’autre pour constituer une réserve d’énergie cinétique, sous une forme qui n’est localisée dans aucun d’eux et se manifeste seulement quand, par un mécanisme quelconque, leur vitesse relative change.

Ou encore, pour un objet donné qui généralement est en mouvement par rapport aux divers référentiels de Galilée, l’énergie cinétique dépend du référentiel avec lequel on le solidarise en l’y arrêtant. Elle n’est aucunement fixée de manière intrinsèque. De même (et l’analogie n’est pas superficielle) la fréquence d’une lumière dépend du référentiel où on l’observe (c’est-à-dire où on l’arrête).

Tout référentiel de Galilée est, à cet égard, isotrope. Le dégât que produit en s’y arrêtant un projectile donné, ou de façon plus précise le travail résistant qu’il peut y produire en s’y arrêtant, dépend de la vitesse relative, mais non pas de la direction de cette vitesse. Ce travail, ou l’énergie cinétique alors disparue, qui ne change pas avec le signe de la vitesse, est donc une fonction du carré de cette vitesse.


Nous avons vu qu’on peut « acheter » (12) avec un travail un lancement de mobile, c’est-à-dire acheter de l’énergie cinétique avec de l’énergie potentielle. Comme l’énergie se conserve, nous voyons, de façon générale, que :


Quand en un référentiel de Galilée, pour un système de mobiles, variations d’énergie cinétique et d’énergie potentielle épuisent exactement leurs effets les unes par les autres, la somme de l’énergie cinétique et de l’énergie potentielle, définies à chaque instant par les positions et les vitesses des points matériels du système, demeure constante.


39. L’énergie cinétique est proportionnelle à la masse et au carré de la vitesse. — Nous venons de comprendre que, pour un point matériel, et disons relativement au sol (dans la mesure où celui-ci peut être regardé comme un référentiel de Galilée) l’énergie cinétique est une fonction du carré de la vitesse. Nous allons le démontrer et trouver cette fonction, en observant comment ce point matériel aurait pu prendre cette vitesse en chute libre, ou plus généralement sous l’action d’une force constante.

Considérons à cette fin un point matériel de masse , d’abord au repos, lancé par l’action d’une force constante qui lui imprime l’accélération constante (voir V4). Après un temps , la vitesse est , l’espace parcouru est et le nombre qui mesure l’énergie cinétique acquise aux dépens du travail égale numériquement à ce travail, peut donc s’écrire, en nous rappelant la loi d’inertie, et la définition de la masse :

Ainsi l’énergie cinétique est proportionnelle à la masse et au carré de la vitesse, les choix précédemment faits pour les unités fixant à la valeur du coefficient de proportionnalité.

40. La masse, capacité d’énergie cinétique. — Pour un autre point matériel, de masse , animé aussi de la vitesse , on a de même :


en sorte que :

Ainsi le rapport des énergies cinétiques, pour deux mobiles de même vitesse ne dépend pas de cette vitesse : s’il faut travailler 3 fois plus pour lancer le premier avec une vitesse que pour lancer le second avec cette même vitesse , il faut également travailler 3 fois plus pour imprimer au premier une autre vitesse que pour imprimer au second cette même autre vitesse . Cette invariance aurait permis de définir les rapports d’inertie ou de masse de deux objets. Ou encore, nous pouvons dire que le premier objet, 3 fois plus inerte, 3 fois plus massif, et 3 fois plus pesant, a une capacité 3 fois plus grande pour l’énergie cinétique, aussi bien que pour l’impulsion (V, 17).


41. Énergie cinétique et impulsion. — Il n’est pas inutile de comparer, à ce point de vue, les deux réalités physiques énergie cinétique et impulsion.

L’une est homogène à un travail, l’autre à un effort. Soient deux points matériels de masses et animés respectivement des vitesses et . À impulsions égales, leurs énergies de mouvement sont entre elles dans le rapport inverse de leurs masses ; à énergies cinétiques égales, leurs impulsions sont entre elles comme le rapport des racines carrées de leurs masses.

Par exemple, si un grain de plomb de 2 millimètres de diamètre et un boulet de plomb de 20 centimètres de diamètre (donc 1 million de fois plus lourd) ont mêmes impulsions, l’énergie cinétique du grain vaut 1 million de fois celle du boulet. Si ce sont leurs énergies cinétiques qui sont égales, l’impulsion du boulet ne vaut que 1000 fois celle du grain.


42. Énergie cinétique d’un système solide, qui tourne sur lui-même tout en se déplaçant. — Considérons un solide libre en mouvement dans un référentiel de Galilée. Quel travail pouvons-nous obtenir en y immobilisant ce solide, rien d’autre ne se produisant ?

Soit le centre d’inertie (coordonnées , , ) qui se meut d’un mouvement rectiligne uniforme (V, 24), et soient les axes menés par parallèlement aux axes liés au référentiel. Pour tout point du solide, nous avons

L’énergie cinétique , égale à ou à


peut donc s’écrire ( égal à , à , à ) :


Or, est le carré de la vitesse de par rapport aux axes entraînés par  ; est le carré de la vitesse de par rapport au référentiel ; enfin dérivée de qui est égale (IV30) au produit de par la coordonnée du centre de gravité selon l’axe laquelle est forcément nulle, est nulle, et de même sont nulles et . Il reste donc :

.

Le premier terme du second membre est l’énergie cinétique d’une masse égale à la masse totale du solide, concentrée en son centre d’inertie. Le second terme est l’énergie cinétique d’un solide libre autour d’un point fixe d’un référentiel de Galilée, c’est-à-dire une énergie de rotation, autour d’un axe passant par ce point (I19).

Bref, le travail rendu disponible par immobilisation est la somme d’une énergie de translation et d’une énergie de rotation (voir V29). Si par exemple un disque est lancé à plat sur un plan horizontal poli bien lubréfié (V1), on pourra immobiliser son axe, ce qui épuisera son énergie de translation, après quoi il tournerait encore indéfiniment autour de cet axe devenu immobile, puis on pourra immobiliser son pourtour, ce qui épuisera son énergie de rotation.

De façon générale, l’énergie de rotation d’un solide tournant avec la vitesse angulaire autour d’un axe lié au sol (tel un volant de machine) sera ( désignant la distance à l’axe de la parcelle de masse ) :


étant le moment d’inertie (V31) autour de l’axe de rotation.


43. Énergie calorifique ou chaleur. — Nous venons de caractériser deux formes remarquables d’énergie, l’énergie potentielle et l’énergie cinétique. Une autre forme remarquable apparaît en considérant l’énergie interne d’un thermostat, système qui, avons-nous dit, ne connaît l’extérieur que par actions thermiques (7). Selon que ce thermostat subit un changement positif ou négatif, nous dirons qu’il y entre ou qu’il en sort une certaine quantité de chaleur, ou, plus simplement, une certaine chaleur. Dans l’expérience de Joule par exemple (26), de l’énergie potentielle abandonne les poids moteurs, se transformant transitoirement en énergie cinétique (à chaque instant peu importante) puis entre et reste dans le calorimètre sous forme de chaleur, sans cesse accrue à mesure que les poids descendent.

Tentons d’analyser ce mécanisme avec plus de finesse : nous verrons que le mouvement des palettes se communique au liquide, où il se dissémine entre parties sans cesse plus petites, accroissant en définitive cette agitation interne désordonnée que possède tout liquide du fait qu’il est à une certaine température et qui se traduit à l’échelle microscopique par le mouvement brownien (IV42). Ce qui nous amène à penser que l’énergie thermique présente dans une masse d’eau par exemple apparaîtrait à un grossissement suffisant comme une somme d’énergies potentielles et cinétiques en transformation réciproque incessante, et réparties, selon un régime permanent fixé à chaque température, entre un nombre immense de systèmes excessivement petits.

Cette conception n’est d’ailleurs pas indispensable et nous pouvons considérer l’énergie thermique comme une forme spéciale d’énergie sans chercher à l’analyser. Nous ne saurions pas au reste faire cette analyse dans le cas d’un solide, disons du cuivre, dont la température s’élève et qui de ce fait emmagasine de l’énergie thermique.

44. Énergies chimiques. — Plus généralement, nous avons vu (31) que tout changement efficient d’un système peut s’obtenir en faisant pénétrer dans ce système à la fois de l’énergie mécanique (travail ou énergie cinétique) et de l’énergie thermique (chaleur). C’est le cas par exemple pour une liquéfaction isotherme sous la pression de saturation ; ou, pour faire intervenir une réaction chimique, c’est le cas pour la formation de carbonate de chaux à température et pression constantes par action du gaz carbonique sur de la chaux. L’accroissement d’énergie du système sera numériquement égal à la somme des énergies qui y auront alors pénétré par voie mécanique ou par voie thermique. Ce sera le cas pour toute énergie chimique, dont chacune constitue en elle-même une forme particulière d’énergie.


45. Énergie lumineuse. — Déjà nous avons signalé que la disparition ou l’apparition de lumière sont des changements efficients ne pouvant se produire sans répercussion. Par exemple, la lumière du soleil, absorbée par un corps, l’échauffe, y faisant apparaître de l’énergie thermique, en même temps qu’elle disparaît.

De l’énergie lumineuse est toujours présente, bien que en quantité minime dans les conditions ordinaires, au sein de tout objet, du fait même qu’il est nécessairement à une certaine température. Nous avons en effet déjà compris (8) qu’une enceinte isotherme vide de matière contient de la radiation qui se révèle comme lumière analysable au spectroscope quand on la laisse s’enfuir au travers d’une petite ouverture pratiquée dans la paroi de l’enceinte, où elle se régénère continuellement avec une densité fixée tant que la température est maintenue constante. Cette paroi intérieure, qui garde le même état tant que sa température demeure la même, débitera la même quantité de lumière si on laisse entrer dans l’enceinte de la matière qui s’imprégnera donc de lumière, en prenant la température de l’enceinte, jusqu’à réalisation d’un régime permanent où cette matière débite autant qu’elle reçoit. Nous concevons ainsi comment un bloc de matière ordinaire rayonne vers l’extérieur par le seul fait qu’il est à une certaine température, la lumière dont il est imprégné, et qu’il régénère sans cesse. La densité d’énergie lumineuse ainsi présente et maintenue constante dans chaque substance de température donnée est, comme nous verrons, infime relativement à l’énergie thermique dans les conditions qui nous sont ordinaires ; elle prendrait de l’importance, au sein de matière très raréfiée et à très haute température, comme à l’intérieur d’une étoile.

Nous pourrons bientôt établir (VIII, Électricité, 80) que l’énergie lumineuse d’une lumière simple est transportée par des photons minuscules identiques, dont la Théorie de l’émission (II, Lumière, 1, 3, 35) avait deviné l’existence.

Puisque la fréquence d’une lumière simple dépend du référentiel de Galilée où on l’observe, c’est-à-dire où on l’absorbe (II, 36 et III, 10), l’énergie que peut céder un photon, cependant en soi donné, dépend du référentiel de Galilée où il disparaît sans avoir été ralenti. C’est aussi le cas pour l’énergie que l’on peut tirer de l’arrêt d’un mobile dans ce référentiel. Mais le mobile s’arrête progressivement et ne disparaît pas : on voit combien diffèrent profondément les photons et les grains matériels.