À madame la duchesse de Mazarin et à M. de Saint-Évremond, en leur envoyant le voyage de l’Amour et de l’Amitié
LETTRE À MADAME LA DUCHESSE DE MAZARIN,
ET À M. DE SAINT ÉVREMONT,
La divine Bouillon, cette adorable Sœur
Qui partage avec vous l’empire de Cythère,
Et qui, par cent moyens de plaire,
Séduit et l’esprit et le cœur ;
Malgré ce que j’ai pu faire,
Veut aujourd’hui que mes Vers,
Au hazard de vous déplaire,
Aillent traverser les mers.
À cet insensé projet
Ma raison s’est opposée :
Je vais devenir l’objet,
Ai-je dit, de la risée
De cet homme si fameux,
De qui le goût seul décide
Du bon et du merveilleux,
Et qui, plus galant qu’Ovide,
Est comme lui malheureux ;
Ce sage qui se confie
Au seul secours du bon sens,
Et dont la Philosophie,
Bravant l’injure des Ans,
Pour suspendre la Vieillesse
Par de doux enchantemens,
Sait l’art d’y mêler sans cesse
Mille et mille amusemens,
Et même les enjouemens
De la plus vive jeunesse :
Ce Critique tant vanté,
Qui, pour sa délicatesse,
Des Ouvrages de la Grece
Auroit été redouté,
Ne saura jamais peut-être
Que ces Vers m’ont peu coûté.
Enfants de l’Oisiveté,
L’Amour seul les a fait naître ;
Et sans vous ma vanité
Leur défendroit de paroître.
Daignez donc, divine Hortense,
Par un regard de ces yeux
Qui désarmeroient des Dieux
La colère et la vengeance,
Obtenir quelque indulgence ;
Et d’un accueil gracieux
Payez mon obéissance.