À travers l’Europe/Volume 1/Le Panthéon et la Madeleine

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P.-G. Delisle (1p. 271-281).

VIII

LE PANTHÉON ET LA MADELEINE.



Après avoir admiré l’œuvre grandiose dont l’architecture gothique a doté la France, il convient de visiter les deux plus beaux monuments que l’autre architecture mère ait élevés dans Paris. Ils ne sont à la vérité que des imitations de temples païens, et leur destination première était toute païenne aussi ; mais ces imitations, inférieures à leurs modèles, sont néanmoins très belles, et méritent de fixer notre attention.

Le Panthéon s’élève au sommet d’une colline qui s’appela sous les Romains le mont Lucotitius, et qui est maintenant la montagne Sainte-Geneviève. Sur les versants de cette colline ont longtemps campé les armées romaines, et lorsque Constance Chlore prit le commandement des Gaules, il s’y fit bâtir un palais, que l’on désigna sous le nom de Palais des Thermes à cause de l’étendue de ses bains, et qui couvrait de ses jardins et de ses vignobles toute la pente méridionale du mont.

Julien, devenu beau-frère de l’empereur Constance et Gouverneur des Gaules, avant son apostasie, fit de ce palais son séjour favori. Il y fut proclamé empereur par ses soldats, pour obéir, disait-il, à la volonté de Jupiter qui lui était apparu en songe.

Les empereurs Valentinien et Valens y passèrent aussi l’hiver de l’an 365. Puis enfin, les Francs succédèrent aux Romains, et Clovis devenu leur roi fit sa demeure du Palais des Thermes, qu’habitèrent plusieurs de ses successeurs.

La Reine de France était alors une sainte, qui de son mari barbare avait fait un chrétien, et qui avait pour amie une autre sainte, d’humble condition, mais que ses vertus avaient rendue illustre, et qui allait devenir la patronne de Paris. Ces deux admirables femmes dont l’une, Sainte Geneviève, avait sauvé la France des fureurs d’Attila, et dont l’autre, Sainte Clotilde, avait converti son roi, voulurent que leur patrie témoignât au ciel sa reconnaissance pour tous les triomphes qu’elle avait remportés sur ses ennemis, et elles décidèrent Clovis à faire bâtir, au sommet du mont Lucotitius une grande église dédiée aux apôtres Saint Pierre et Saint Paul.

Sainte Geneviève, déjà parvenue à un âge très avancé, fut la première enterrée dans cette église, qui bientôt porta son nom. Les corps de Clovis et de Sainte Clotilde y furent aussi déposés plus tard, et l’église subsista jusqu’à l’invasion normande.

À côté de l’église s’était élevée une abbaye, et ses moines sauvèrent de la dévastation et de l’incendie de l’église par les Normands la châsse de la patronne de Paris.

C’était au IXe siècle, et ce ne fut qu’au XVIIIe que le roi de France, Louis XV, ordonna d’élever sur les ruines de l’ancienne église Sainte-Geneviève, un temple dont les formes seraient empruntées à Saint-Pierre du Vatican et au Panthéon romain. Ces modèles sont malheureusement, ou heureusement, deux chefs-d’œuvre inimitables, et l’architecte français ne put atteindre ni l’harmonie du Panthéon romain ni la grandeur et la majesté de Saint-Pierre. Soufflot n’était ni un Bramante, ni un Michel Ange ; il n’avait ni la grâce du premier, ni la hardiesse et la grandeur du second. Cependant il ne manquait pas de génie, et il avait un tel amour de l’art que lorsqu’il s’aperçut que le dôme, déjà trop bas, s’affaissait et faisait fléchir les assises sous son poids énorme, il fut accablé d’une affliction qui abrégea ses jours.

Le style du Panthéon est gréco-romain, et malgré ses défauts c’est un superbe monument. Lorsqu’après avoir parcouru les boulevards, ou la Rue de Rivoli, à l’ombre de ces grands édifices dont la symétrie et la monotonie fatiguent et ennuient, l’on traverse le quartier latin, c’est une agréable surprise de se trouver tout à coup en face du Panthéon. L’esprit s’élève et l’œil se repose en contemplant le péristyle, avec ses 22 grandes colonnes corinthiennes, couronné d’un fronton dont les sculptures, œuvre de David (d’Angers), représentent la Patrie, entre la Liberté et l’Histoire, distribuant des palmes aux grands hommes qui les entourent ; sous le péristyle, deux groupes de statues de Maindron, qui nous montrent Sainte Geneviève en présence d’Attila, et Saint Rémy baptisant Clovis ; au centre de l’édifice, et posé sur sa tête comme une couronne colossale, le dôme avec ses trois coupoles superposées.

Le grand désavantage du Panthéon c’est d’être trop neuf encore. Lorsque plusieurs siècles auront noirci ses pierres, et gravé leurs légendes sur ses murailles, il sera plus beau sans doute.

L’homme s’enlaidit en vieillissant ; mais le monument éprouve un sort différent, et plus heureux. Si le front du Panthéon montrait des rides, si ses flancs avaient des déchirures où croîtrait la mousse, si le lierre enguirlandait ses colonnes, s’il avait à nous raconter de vieilles histoires, oh ! comme il serait bien plus intéressant !

Mais aujourd’hui il ne renferme rien, et n’a presque rien à nous dire. Il a été destiné par la Révolution il recevoir des grands hommes, et les grands hommes ont fait défaut. La France l’a bâti juste au moment qu’elle n’en produisait plus !

Il nous montre bien les tombeaux de Voltaire et de Rousseau ; mais ces tombeaux eux-mêmes sont vides. Ce n’est pas moi qui le regretterai, parce que je n’ai aucune vénération pour ces deux corrupteurs du peuple français. Que sont devenus leurs os ? On n’en sait rien ; mais s’ils ont été enlevés et emportés dans l’autre monde, il ne faut pas en accuser les bons anges.

C’est peut-être ce que signifie l’inscription qui couronne le mausolée du patriarche de Ferney : « Aux mânes de Voltaire. » On ne pouvait pas écrire ; «  Ci-git le corps… » il n’y est pas. On ne pouvait pas parler de son âme ; ses contemporains en doutaient, et lui-même ne croyait pas en avoir une ! Mânes est bien le mot qui convenait, si l’on a voulu rappeler les divinités infernales que l’antiquité païenne désignait sous ce nom !

Un des charmes du Panthéon, c’est la solitude qui l’entoure, et qui règne même il l’intérieur. En face, s’ouvre pourtant l’École de Droit dont la jeunesse est bruyante ; mais une vaste place sépare les deux édifices, et le bruit de l’École n’arrive pas jusqu’aux sacrés parvis — que les élèves ne fréquentent guère d’ailleurs.

J’y suis entré plusieurs fois, et je n’y ai jamais rencontré personne — sauf deux anglais qui tenaient à voir le tombeau de Voltaire, et à faire toucher leurs bagues aux restes du grand homme. Le guide n’hésita pas à leur affirmer qu’ils avaient sous les yeux le corps du plus grand génie que la France ait produit.

Sainte Geneviève était une humble fille qui n’aimait pas le bruit, et peut-être se plaît-elle au silence qui l’entoure. Mais non, elle avait trop à cœur la gloire de Jésus-Christ, et sans doute elle s’attriste de voir ses autels déserts !

C’est au Panthéon surtout que peuvent s’appliquer avec vérité ces vers d’Auguste Barbier :

Car les saints monuments ne restent dans ce lieu
Que pour dire : autrefois, il y avait un Dieu !

À l’intérieur moins encore qu’à l’extérieur, le Panthéon ne ressemble à une église. Il a si souvent changé de destination qu’il n’a pu revêtir le caractère religieux. On le dirait plutôt fait pour être un musée de sculpture et de peinture, et sa forme — la croix grecque — se prêterait admirablement à cet arrangement. Les fresques les plus remarquables sont celles de la seconde coupole, exécutées par Gros, et représentent Sainte Geneviève recevant les hommages des rois de France, personnifiés par Clovis, Charlemagne, Saint Louis et Louis XVIII.

Comme le Panthéon, la Madeleine est un temple à part qui tranche sur la monotonie générale des édifices parisiens, et c’est un fort beau spécimen de l’architecture grecque. Elle a quelque ressemblance avec la Maison Carrée de Nîmes — un chef-d’œuvre antique — et sa colonnade est une imitation du Parthénon d’Athènes, avec de plus vastes proportions. Sa ceinture de colonnes corinthiennes cannelées, son portique élevé, avec ses niches ornées de saints et de saintes, le fronton de la façade principale dont les sculptures colossales représentent le jugement dernier, forment un ensemble de l’aspect le plus imposant.

Le style de la Madeleine est entièrement différent de celui du Panthéon, mais les deux monuments se ressemblent par leur histoire et par les vicissitudes qu’ils ont subies.

Comme le Panthéon, la Madeleine a dû son origine à Louis XV, et fut d’abord destinée au culte ; mais elle ne put être terminée avant la Révolution, et lorsque Napoléon en ordonna l’achèvement, il voulut en faire un temple de la gloire, dédié à la grande armée.

L’empire tomba avant que l’architecte n’eut terminé son œuvre — car la France d’alors savait plutôt renverser qu’édifier — et Louis XVIII reprenant l’œuvre de Louis XV la rendit au culte catholique. Elle est dédiée à Dieu très bon et très grand, sous l’invocation de Sainte Marie-Madeleine.

Dans son genre, elle est après Notre Dame, la plus belle église de Paris ; mais son genre n’est pas vraiment celui des églises ; malgré tous les saints personnages dont les statues font la garde autour d’elle, on la prendrait encore de loin pour un temple païen, ou pour Madeleine, avant sa conversion.

L’intérieur se compose d’une seule nef, et il est d’une magnificence comparable à quelques églises de Rome. Le marbre et l’or resplendissent partout, et de quelque côté que vous jetiez les yeux vous apercevez des peintures et des sculptures magnifiques, dans lesquelles l’art a tracé tantôt des scènes de la vie de Sainte Madeleine et de plusieurs autres saints, et tantôt des pages de l’histoire de l’Église et de la France.

C’est en face de la Madeleine que les communards de 1871 avaient construit une formidable barricade, en travers de la Rue Royale ; et c’est là qu’après avoir mis le feu à plusieurs maisons, des pompiers, payés par la Commune, remplirent leurs pompes de pétrole et en arrosèrent le feu.

Mon cher lecteur, je voudrais bien vous conduire encore dans quelques églises ; car il y en a une foule d’autres qui méritent d’être visitées et étudiées. Mais je serais exposé à vous faire des descriptions nombreuses que vous trouveriez monotones, et qui donneraient à ces pages la physionomie d’un Guide Joanne.

Je ne puis cependant pas omettre entièrement les suivantes, que vous devrez visiter, si vous allez à Paris.

Saint-Étienne du Mont, dont la construction remonte à 1517, et qui renferme le tombeau de la patronne de Paris.

Sa tour carrée, surmontée d’une lanterne octogone, et flanquée d’une tourelle ronde, son grand portail d’architecture romane dont on vante les sculptures, tout son extérieur enfin forme un ensemble très irrégulier, mais qui a du cachet et qui ne manque pas de grâce.

À l’intérieur, vous admirerez ses galeries, accrochées aux colonnes comme des guirlandes, son jubé jeté comme un pont entre le chœur et la nef et terminé par d’élégants escaliers en spirale, sa chaire élégamment sculptée et reposant sur les épaules d’un Samson, ses vitraux coloriés, œuvres de plusieurs maîtres célèbres, ses tombeaux et ses inscriptions qui rappellent la mémoire de Sainte Geneviève, de Sainte Clotilde, de Clovis, de Pascal et de Racine.

En vous arrêtant au bas de la nef, vis-à-vis la porte du milieu, vous vous rappellerez qu’en cet endroit même fut assassiné par Verger, Mgr Sibour, Archevêque de Paris, au moment d’une procession autour de l’église.

Saint-Sulpice, à côté du célèbre Séminaire du même nom, renferme un mélange de tous les ordres d’architecture ancienne et moderne, dû aux nombreuses vicissitudes de sa construction. Malgré son manque d’unité et ses parties inachevées c’est une des belles églises de Paris.

L’intérieur est plein de majesté, et, ses trois nefs, séparées par des piliers corinthiens, sont flanquées de chapelles décorées de peintures murales magnifiques. La chapelle de la Sainte Vierge, en arrière du maître-autel est surtout remarquable. Les meilleurs artistes ont travaillé à sa décoration, qui joint l’élégance à la richesse et à la splendeur.

Pendant la Révolution, Saint-Sulpice devint le temple de la Victoire, et servit de salle de banquet au général Bonaparte, à son retour d’Égypte.

N’oublions pas Saint-Germain-des-Prés, la plus ancienne église de Paris. Elle s’élève sur l’emplacement de la célèbre abbaye du même nom, fondée dès les premiers temps de la monarchie frauçaise. Un roi de Pologne, Casimir V, fut abbé de Saint-Germain-des-Prés, et son tombeau est l’un des principaux ornements de l’église actuelle. Dans la crypte reposent aussi Descartes et le savant Mabillon, qui fut une des gloires de l’abbaye.

L’église actuelle date du commencement du XIe siècle — ce qui est déjà un âge très respectable — mais, s’il faut en croire les archéologues, la tour de la façade serait un précieux reste de l’antique abbaye.

L’intérieur est d’architecture romane ; mais de nombreuses restaurations en ont altéré le caractère primitif. Ce qui en fait aujourd’hui le principal intérêt et la beauté, ce sont les fresques magnifiques, dues au pinceau de M. Hyp. Flandrin, le grand artiste chrétien que la France regrette encore.

Dans une étude remarquable, publiée à Marseille en 1866, M. Claudio Jannet a fait l’appréciation des œuvres de ce peintre illustre, et il démontre que dans ses grandes compositions de Saint-Germain-des-Prés, Flandrin a prodigué des chefs-d’œuvre. Il nous fait surtout admirer dans l’artiste la fécondité d’imagination, la largeur de style, la maturité du talent et l’orthodoxie du pinceau.

Mais pour connaître mieux l’œuvre du grand peintre français, il faudra, lecteur, visiter l’église Saint-Vincent de Paul, admirablement située au sommet d’une colline, et dont le péristyle à colonnes ressemble à un temple grec.

C’est là que vous admirez dans toute leur ampleur et dans l’immense variété de leurs détails les compositions du maître. Peu de peintures ont produit sur moi une impression aussi vive que cette frise de Saint-Vincent de Paul, où deux longues processions de saints et de saintes partant du fond de la nef s’avancent parallèlement de chaque côté de l’édifice vers le chœur qui figure le ciel, avec le calme austère et la simplicité grandiose d’êtres supérieurs aux faibles mortels.

« La frise de Saint-Vincent-de Paul, dit M. Claudio Jannet, a déjà reçu le glorieux surnom de Panathénées chrétiennes. C’est l’œuvre qui a fait la popularité de Flandrin, celle avec laquelle il se présente à la postérité, comme Raphaël avec les Loges. »

Pour terminer cette revue déjà longue des églises de Paris, je vous engage, lecteur, à visiter encore la Trinité, tout récemment construite et d’un aspect fort beau, Saint-Roch, Saint-Augustin, Saint-Gervais, Saint-Germain l’Auxerrois, témoin de bien des événements, Saint-Eustache, Saint-Sévérin, puis enfin le Jésus et Montmartre si remplis de grands et chers souvenirs.