À travers l’Europe/Volume 1/Palais et musées

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P.-G. Delisle (1p. 283-298).

IX

PALAIS ET MUSÉES.



APRÈS les églises, les palais. N’est-ce pas dans l’ordre ? L’église est supérieure au palais, tant par sa destination que par l’incomparable dignité de celui qu’elle loge et qu’elle honore.

Mais il ne faut pas les séparer ; car leur séparation, et surtout la guerre entre les deux, c’est le désordre social. La chose est évidente, puisque l’un et l’autre représentent la double autorité qui gouverne les hommes, et puisque l’un ne règne que sur le corps, tandis que l’empire de l’autre s’étend jusque sur les âmes.

Un contraste remarquable entre l’église et le palais, c’est la perpétuelle instabilité de celui-ci, et l’éternelle stabilité de celle-là. L’un change perpétuellement de maîtres, tandis que l’autre abrite perpétuellement le même Dieu.

Dans le palais les dynasties passent. Mais dans l’église vit celui qui a dit : le ciel et la terre passeront, mais mes paroles ne passeront pas.

L’église représente cette parole qui ne passe pas. Mais au sommet du palais flotte un drapeau qui change de couleurs, et sous ses lambris résonnent des voix qui meurent, ou qui n’éveillent pas d’échos.

Cependant, l’autorité que le palais représente a aussi son caractère de perpétuité, en dépit de ses changements, et quand on démolit ses murailles on ne détruit pas le principe dont il est l’emblème.

Je crois avoir déjà dit quelques mots du Louvre. C’était dans l’origine une forteresse entourée de fossés que les eaux de la Seine alimentaient. Malgré des transformations nombreuses, spécialement, sous Philippe Auguste et sous Charles V, il conserva son caractère de château féodal jusque sous le règne de François I.

Pendant cette période il avait servi de résidence à quelques rois, mais Charles V avait fini par lui préférer l’hôtel Saint-Paul, et Charles VII avait à son tour quitté ce dernier pour le palais des Tournelles.

François Ier fit le projet de transformer en palais le vieux château du Louvre, et d’y réinstaller la royauté. C’est là qu’il reçut Charles-Quint avec une magnificence vraiment royale.

Ses successeurs continuèrent l’œuvre de transformation du Louvre, et Henri IV le relia, d’un côté, aux Tuileries, que Catherine de Médicis avait commencées, et qui se trouvaient encore hors de l’enceinte de la ville.

Richelieu acheva d’abattre tout ce qui restait encore du vieux monument féodal, et fit remplacer les façades en ruines par de nouvelles constructions, confiées à l’architecte Lemercier.

Cependant tous ces agrandissements manquaient d’ensemble, et ne faisaient pas une demeure digne des rois de la France. Louis XIV vint, et parut vouloir tout d’abord en faire une œuvre monumentale. Mais il s’éprit bientôt de Versailles, et les énormes travaux qu’il y fit exécuter nuisirent à l’achèvement du Louvre. Ce fut pourtant sous son règne que fut élevée par l’architecte Perrault la colonnade extérieure qui fait face à Saint-Germain l’Auxerrois, et qui est vraiment très belle.

De nouveaux travaux furent entrepris sous Louis XV, et sous le Consulat ; mais c’est à Napoléon III que revient l’honneur d’avoir enfin opéré la jonction définitive du Louvre aux Tuileries, d’avoir fait disparaître les maisons, les petites rues, les hôtels et les baraques qui séparaient les deux palais, et d’avoir couvert ce large espace, de jardins, de galeries, de pavillons, et de façades, de manière à ne faire des deux palais qu’un immense et superbe édifice.

Certes, tout n’est pas beau dans ces constructions, et malgré l’habileté qu’on a pu déployer pour en masquer les défauts, les architectes y constateront de nombreuses erreurs.

Mais on ne saurait refuser entièrement son admiration à ce gigantesque ouvrage, et surtout à plusieurs de ses détails.

On doit reconnaître un caractère de grandeur remarquable à la colonnade de Perrault, et pour ma part je n’ai jamais passé sur la place du Louvre sans m’arrêter pour admirer la magnifique perspective que présente cette procession de colonnes, rangées deux à deux sur l’immense façade extérieure du Louvre.

La façade de la Cour intérieure est cependant plus belle, et surtout possède plus d’unité. Le principal mérite en revient à Pierre Lescot, et l’on ne peut difficilement imaginer rien de mieux ordonné et de plus élégamment décoré. C’est un des chefs d’œuvre de l’architecture française.

Je passe sous silence les autres façades, dont plusieurs pavillons offrent un aspect imposant et de somptueuses décorations.

Avant de pénétrer dans le palais — dont les musées sont peut-être les plus beaux du monde, après ceux du Vatican et de Florence — nous devons rappeler quelques-uns des événements dont il a été le théâtre.

Ce fut Catherine de Médicis qui vint y habiter la première, après que son mari, Henri II, eut été tué dans un tournoi. On sait que son fils aîné, François II, qui épousa la belle Marie Stuart, surnommée plus tard l’infortunée, ne régna pas longtemps, et que son frère lui succéda sous le nom de Charles IX.

C’est alors que les guerres de religion devinrent les plus ardentes, et parmi les souvenirs de ce règne que la vue du Louvre rappelle, il en est un qu’on voudrait effacer : c’est celui du massacre de la Saint-Barthélémy.

Si jamais vous allez visiter ce palais, lecteurs, les guides ne manqueront pas de vous en faire un récit plus ou moins légendaire, et de vous montrer la fenêtre par laquelle le roi Charles IX aurait tiré sur les malheureux huguenots qui s’enfuyaient.

Cette accusation est insoutenable, et la fenêtre que l’on vous montrera n’existait pas au temps de Charles IX. Mais on ne peut laver la mémoire de ce roi d’avoir laissé faire le massacre. Sans doute, les provocations n’avaient pas manqué, et les huguenots avaient pris l’initiative de l’assassinat. Sans doute, ils étaient devenus très puissants, affichaient des prétentions exorbitantes, et menaçaient l’autorité du roi. Mais le pouvoir royal, et surtout la religion catholique, devaient être autrement défendus. Les massacres — même quand ils ne sont que des représailles — ne peuvent pas servir les causes saintes, et, comme le disent très bien les historiens de Riancey, « le catholicisme, qui fut étranger au crime et qui en a souffert, a le droit de le flétrir. »

Ce dut être un terrible drame, et quand je me suis arrêté sur la place du Louvre, les yeux fixés sur ce palais, il m’a semblé le voir se dérouler devant moi.

C’était au lendemain des noces de Marguerite de Valois avec Henri de Béarn, qui allait devenir Henri IV, et les huguenots se trouvaient réunis à cette occasion dans Paris, au nombre de plus de huit mille. Les conseillers du roi et sa mère jugèrent le moment favorable pour se débarrasser des chefs ennemis, et le complot fut organisé.

« À minuit, raconte Henri de Riancey, la grosse cloche de l’horloge du Palais donna le signal ; les bourgeois avaient un mouchoir blanc au bras et une croix blanche au chapeau, et aux fenêtres de toutes les maisons étaient allumés des flambeaux pour éclairer les attentats. Le peuple se mit de la partie avec fureur.

Alors, il y eut des scènes horribles…

Coligny fut assassiné le premier dans son lit, et son corps fut jeté par la fenêtre. Le tocsin du Palais sonnait. Les gentilshommes huguenots de la suite du roi de Navarre avaient été désarmés, poursuivis ou saisis jusque dans la ruelle du lit de la reine. Henri échappa non sans peine, et en promettant d’abjurer. Le duc de Guise, le duc d’Aumale, le chevalier d’Angoulême guidaient les meurtriers de la Cour et de la garde qui massacraient les seigneurs, tandis que le peuple faisait main basse sur les gens de moyenne condition…

Le nombre des victimes a été singulièrement exagéré, et l’on ne peut aujourd’hui le fixer avec certitude. Mais ce qui n’est pas douteux, comme l’a démontré M. de Falloux, c’est que la religion ne fut pour rien dans le massacre, et que la responsabilité en revient aux intrigues de Catherine de Médicis et aux provocations des huguenots.

Le Louvre servit encore de résidence à Henri III, à Henri IV qui y fut assassiné, à Louis XIII, à l’infortunée reine d’Angleterre, veuve de Charles Ier, et à Louis XIV au commencement de son règne.

Lorsque la Révolution éclata, il était devenu tout autre chose qu’un palais. On y avait installé des bureaux et même des échoppes. Ce fut la Convention Nationale qui eut le mérite d’en convertir les appartements en musées.

Comme on voit, le plus grand musée de France est de formation récente, et c’est pourquoi il reste inférieur à ceux de Florence et de Rome.

Mais s’il n’y a pas eu réellement, avant le commencement de ce siècle, un musée national et public à Paris, il y avait dans les châteaux royaux diverses collections d’objets d’art, qui formaient ce qu’on appelait le Cabinet des rois de France, et dont les commencements remontaient à François Ier.

Ce souverain avait un goût remarquable pour les arts, et il avait attiré près de lui Léonard de Vinci, Andréa del Sarto, Benvenuto Cellini, il Primaticcio, et quelques autres artistes italiens. En même temps, il avait importé d’Italie une collection choisie de statues, de bronzes, de ciselures, de médailles, appartenant à l’art antique et à la Renaissance.

Cette collection fut triplée sous Louis XIV, et encore enrichie sous Louis XV. Napoléon Ier, qui trouva le musée du Louvre enfin formé, y entassa d’inappréciables richesses artistiques, enlevées à tous les pays qu’il avait vaincus. Mais à la chute de l’Empire, la France fut forcée de les restituer aux alliés.

Il serait impossible, lecteurs, de vous conduire dans toutes les salles qui composent, cet immense musée, et de nous arrêter à tous les chefs-d’œuvre qu’il renferme — à moins d’y consacrer un volume. Ses nombreuses collections sont divisées en dix-huit musées différents.

Le musée assyrien, le musée égyptien, le musée de sculpture antique, celui du moyen-âge et de la Renaissance, celui de la sculpture moderne française et enfin le musée de peinture, auront particulièrement de l’intérêt pour vous, et vous pourrez y passer des jours entiers dans la contemplation d’œuvres immortelles.

Le musée de peinture est surtout considérable. Il ne contient pas les meilleures toiles des grands maîtres italiens, mais presque tous y sont représentés par quelques tableaux. Je me contente de vous nommer Raphaël, le Dominiquin, le Titien, le Guide, Léonard de Vinci, André del Sarto, Paul Véronèse et le Corrège.

L’école italienne primitive y est même représentée par Giotto, Cimabue et Fra Angelico.

Plusieurs tableaux de Murillo, surtout l’Immaculée Conception, et quelques-uns de Vélasquez vous feront dignement apprécier l’école espagnole.

L’école flamande vous y montrera ses plus illustres représentants, Rubens, Van Dick, Rembrandt et Téniers.

Enfin, vous admirerez la galerie de l’école française, composée des chefs-d’œuvre de ses meilleurs artistes depuis Lesueur et Poussin jusqu’à nos jours.

Dans une des salles consacrées à la sculpture on vous montrera, comme le chef-d’œuvre des chefs d’œuvre, la Vénus de Milo, ainsi nommée parce qu’elle fut trouvée en 1820 dans l’île de ce nom.

Je ne sais si vous serez de mon avis, mais il me semble qu’il y a un peu de convention dans les éloges qu’on lui prodigue, et qu’on la trouverait moins belle si elle n’avait pas été déterrée dans une île de la Grèce, et si l’on ne croyait pas qu’elle est dûe au ciseau de quelque grand artiste païen. Sans doute l’exécution technique en est admirable, mais, comme la statue de Pygmalion, ses formes plastiques ne manquent-elles pas un peu de vie ?

Au reste, il faut rendre à l’artiste grec cette justice qu’il a quelque peu habillé sa Vénus — ce que ne font plus les réalistes de nos jours.

On a prétendu imiter l’art grec, depuis la Renaissance ; mais on a choisi comme modèles des œuvres de l’époque de décadence. L’époque la plus brillante fut celle de Phidias, et ce grand artiste, la plus pure gloire de l’art antique, avait choisi Minerve pour idéal et non pas Vénus.

Le réalisme a changé l’esthétique de l’art. Il supprime l’âme et glorifie la chair. Il est la manifestation, non plus de l’idéal, mais de la réalité sans voile.

Ah ! combien l’on regrette cette aberration de l’art moderne, lorsqu’on visite aujourd’hui les musées de peinture et surtout de sculpture de l’Europe ! Combien il y a d’artistes qui ne comprennent pas aujourd’hui leur mission !

L’œuvre de l’Art, il nous semble, c’est l’inverse de l’opération divine dans l’étonnant mystère de l’Incarnation. Ce n’est plus un Dieu qui descend du ciel en terre et qui se cache dans un corps mortel : c’est un homme qui s’élève de la terre au ciel, qui s’absorbe dans la contemplation de la perfection infinie, et qui s’efforce de revêtir son œuvre d’une forme divine et immortelle !

Si nous sortons du Louvre par le pavillon Sully, ou par le pavillon Denon, nous avons devant nous un vaste espace comprenant la place Napoléon, la place du Carrousel et la Cour des Tuileries. Jetons un coup d’œil aux jardins de la place Napoléon, admirons en passant l’arc-de-triomphe du Carrousel, qui, comme celui de l’Étoile, glorifie l’épopée napoléonienne, et visitons le palais des Tuileries.

J’ai dit que ses commencements datent de Catherine de Médicis, mais il fut bien longtemps un édifice irrégulier et sans art. Agrandi sous Henri IV, et régularisé sous Louis XIV, il fut habité par Louis XV, pendant sa minorité, et par Louis XVI pendant les trois années qui précédèrent sa captivité.

C’est alors que ce palais est devenu le théâtre de drames populaires, qui se sont souvent renouvelés depuis.

C’est le 20 juin 1792 qu’il fut envahi pour la première fois par les hordes révolutionnaires, commandées par Santerre et Saint-Huruge. Entré par le guichet du Carrousel, le cortège vint frapper à cette porte de la Cour royale, et ceux qui étaient chargés de la défendre n’eurent pas l’énergie de le faire.

Témoin de la faiblesse du commandant général, un jeune officier d’artillerie, alors inconnu, et qui s’appelait Napoléon Bonaparte s’écria : « Comment a-t-on laissé entrer cette canaille ? Il fallait en balayer quatre ou cinq cents avec du canon, et le reste courrait encore. »

L’émeute grossit, et la foule se rua dans les escaliers du palais. Le roi dut se montrer à elle dans la salle de l’œil-de-bœuf, au milieu des vociférations et des violences. Quelques furieux tentèrent de se frayer un chemin jusqu’au roi pour l’assassiner, mais les grenadiers qui l’entouraient les repoussèrent.

Ces bandes affolées brisèrent les meubles, enfoncèrent les portes, multiplièrent les insultes, les outrages, les menaces, et cette scène ignoble dura plus de deux heures.

Dans le même temps, d’autres bandes pénétraient dans les appartements de la reine, l’injuriaient, la menaçaient et la forçaient à coiffer son fils d’un bonnet rouge.

Hélas ! ce n’était là qu’un commencement.

Le 10 août suivant l’insurrection éclata formidable, et le roi fut trop faible pour la réprimer. Au lieu de défendre ce palais contre les bandits de Santerre et de Westermann, il en sortit, et il se remit entre les mains de l’Assemblée Nationale, qui devait sitôt prononcer sa déchéance.

Les Suisses firent un commencement de défense du palais, et peut-être auraient-ils repoussé l’émeute ; mais ils reçurent l’ordre de cesser le feu et de rentrer dans leurs casernes.

« Alors, dit Georges de Cadoudal, auquel j’emprunte ce récit, commença la sanglante orgie, une des plus effroyables dont l’histoire ait enrégistré le souvenir. Le flot des assaillants pénètre par toutes les voies dans le palais de la Royauté. Les bandes de Santerre et de Westermann se ruent, avec des instincts de bêtes fauves sur les soldats isolés qu’elles trouvent dans les appartements. Ceux qui se sont montrés les plus lâches au combat sont les plus ardents au massacre et au pillage. Ils égorgent ou brisent tout ce qui leur tombe sous la main. On tue jusqu’aux blessés et aux mourants, jusqu’aux chirurgiens qui les pansaient, tous les serviteurs du château, les Suisses dans leurs loges, les chefs d’office et les marmitons dans les cuisines, les huissiers, heiduques et valets de pied, dans les antichambres. Après s’être gorgés de sang, les massacreurs se gorgent de vin, descendent dans les caves et enfoncent les futailles. Les uns volent du linge, des bijoux, des assignats, de l’argent. Un avocat nommé Daubigny, vola cent mille francs, que sa femme sous le coup de menaces, dût restituer le lendemain. D’autres mettent en pièces tous les meubles de la résidence royale, glaces, pendules, livres, tableaux, objets précieux, et les jettent dans les cours, pêle-mêle avec les cadavres. On voyait des porte-faix et des chiffonniers s’affubler des ornements royaux, des costumes du sacre, s’asseoir sur le trône, et parodier les représentations de la Cour. Les prostituées, ces dignes reines de l’émeute, revêtaient les robes de Marie-Antoinette et se vautraient sur son lit… »

Depuis lors, à chaque nouvelle révolution, des bandes d’émeutiers, qui se disent le peuple français, font l’assaut des Tuileries, les saccagent et les pillent.

Ainsi, les scènes hideuses que nous avons rappelées se sont renouvelées le 29 juillet 1830, le 24 février 1848, et le 22 mai 1871. Mais, à cette dernière date, les pétroleurs ont voulu en finir, et ils ont incendié le palais. L’aile du Nord, qui était peut-être la plus belle, n’est plus qu’un amas de ruines. Mais le pavillon de Flore et la galerie du bord de l’eau, qui sont élégamment décorés, n’ont été qu’endommagés.

Je me suis attardé à rappeler les souvenirs historiques attachés aux Tuileries et au Louvre, et comme ce chapitre est déjà long, je serai forcé de glisser rapidement sur les autres palais.

Je ne décrirai donc ni l’Élysée, dont j’ai déjà parlé ailleurs, ni le palais Bourbon qui a presque toujours servi de siège aux assemblées législatives de France. Sauf son portique à colonnes que j’ai déjà mentionné, il n’aurait d’ailleurs à nous montrer d’intéressant que sa Salle des séances qui est très belle, et qui a longtemps retenti de l’éloquence des Berryer, des Montalembert, des Thiers, des Lamartine, des Guizot et de beaucoup d’autres.

Il me faut aussi omettre le palais des Thermes, la seule ruine vraiment antique de Paris, et son musée qui renferme de jolies sculptures.

Mais je ne puis pas laisser de côté le Palais-Royal et le Luxembourg.

Le premier s’élève à l’endroit qu’occupaient jadis les hôtels de Mercœur et de Rambouillet, et il fut construit par le Cardinal de Richelieu. Il échut ensuite à Louis xiii, puis à Anne d’Autriche. Louis xiv y passa son enfance. La veuve de Charles Ier, roi d’Angleterre, y vint résider avec sa fille.

Plus tard, ce palais eut pour maître le Régent, Philippe d’Orléans, et Saint-Simon a décrit les soupers scandaleux qu’il y donna.

Après d’autres mutations il est devenu la propriété du prince Jérôme-Napoléon qui l’a considérablement embelli. Le jardin qui s’étend en arrière est aujourd’hui entouré des galeries d’Orléans, de Valois, de Montpensier et de Beaujolais. Il est peu de promenades aussi agréables aux yeux que ces galeries où sont installés de brillants magasins, et dont on fait le tour en flânant, le soir, surtout quand il pleut.

Le palais du Luxembourg date du commencement du xviie siècle et fut bâti par Jacques Desbrosses pour la reine Marie de Médicis, veuve de Henri iv. La façade principale se compose d’un pavillon central surmonté d’une coupole, et de deux galeries s’étendant jusqu’à deux autres pavillons qui forment les angles.

Plusieurs princes et princesses s’y sont succédé. Mais quand la Révolution éclata, on en fit une prison — les autres prisons regorgeant de prisonniers.

Comme ailleurs, les nobles y passèrent les premiers, entre autres, le maréchal de Noailles et sa femme, le vicomte de Beauharnais et sa femme Joséphine, plus tard impératrice. Mais bientôt les bourreaux suivirent : Hébert, Danton, Camille Desmoulins, Lacroix, Hérault Séchelles, Philippeaux, Fabre d’Églantine, et plusieurs autres y furent enfermés, en attendant l’heure de la guillotine.

Mais quel contraste présentait le Luxembourg quelques années après ! Dans ces appartements qui avaient entendu tant de plaintes et de sanglots, retentissaient les rires joyeux, les lazzis, et la musique des bals du Directoire. Sur ces parquets où des marquises et des comtesses avaient été entassées, en attendant la mort, tourbillonnaient les Aspasies de Barras, vêtues comme les déesses de l’antique Olympe.

Bonaparte survint, et fit écrire sur la façade du Luxembourg : Palais du Consulat. Mais il ne l’habita pas, et le vieux palais garda son vieux nom, en dépit de son enseigne.

Sous Louis xviii, et plus tard sous Louis-Philippe, la chambre des Pairs y siégea : et elle fut remplacée par le Sénat sous Napoléon iii.

Aujourd’hui, le Luxembourg est un musée, qui serait intéressant pour qui n’aurait pas visité le Louvre, et qui contient surtout les tableaux des peintres français encore vivants.

Mais si le Palais lui-même a l’aspect mélancolique et solitaire des vieillards qui survivent à tous leurs amis, son jardin, conme tout ce que la nature produit, est toujours jeune et verdoyant. À l’ombre de ses beaux arbres, ses fleurs nous sourient et nous embaument, et ses statues se mirent toujours au bord de ses fontaines.