À travers l’Inde en automobile/23
Il y a dans cet ascète, ce sage, que des guides obséquieux vous conduisent voir à « l’Anand Bagh », près de Bénarès, un caractère répugnant entre tous : l’hypocrisie. Cet homme n’a rien : qu’un masque, derrière lequel s’abrite un cerveau étroit, un orgueil démesuré, une suffisance ridicule et une vanité mesquine.
Il a succédé à un certain Swami Balishara Nanti, que des milliers de
pèlerins et de curieux venaient visiter, comme un individu quelconque
reprend un commerce d’épicerie ou de vin au détail, il
vend de la sainteté, des conseils pieux aux clients du mort ; moins
que cela, il s’exploite lui-même, car la bienséance exige qu’après l’avoir considéré comme une bête rare ou vénéré comme une incarnation,
on dépose à ses pieds le prix d’un ticket de ménagerie,
sinon le denier de la veuve. Il vit de sa vertu, comme d’autres de
leurs vices. Cette ostentation vulgaire de charlatan religieux se
manifeste dans sa pose extatique, empruntée, dans l’empressement
des acolytes qui l’approchent avec un respect dû à la divinité, et
enfin, dans le don qu’il vous fait au départ d’une liste imprimée
de tous les Européens qui sont venus contempler sa vieille face
ridée. C’est un snob à sa façon. Il ne peut avoir que deux passions :
l’argent et le souci de l’opinion publique ; car s’il sentait le vide
de Dieu dans son âme, comme l’humble fakir, le « jogui » nu,
couvert de cendres, il s’en irait sans aide et sans approbation par
les chemins brûlants, et les pèlerinages lointains à la recherche
de l’infini.