À travers l’Inde en automobile/25

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AGRA, 27 SEPTEMBRE.


Le Taj Mahal est une merveille, mais une merveille monotone, il n’exprime point le génie d’une race, la conception architecturale d’une époque ; il n’est pas, comme nos monuments gothiques, multiple, vivant, vibrant de l’âme des foules au milieu desquelles ils furent élevés. Cette éclosion d’ors immortels, ce faste de pierreries jetées à profusion dans la somptuosité des marbres fouillés, incarne une pensée, un sentiment unique : l’amour fidèle, chaste et étincelant que l’Empereur gardait à sa femme, la Begum Mutazual-mahal, l’exaltée, « la bien-aimée du sérail ».

Il l’a voulue reine, incomparable, sans rivale, dans la mort comme dans la vie. Pour déposer son corps d’ambre pâle, délicat comme un jasmin, il a fait fleurir le porphyre et l’albâtre en une couche de marbres immaculés : il a édifié un temple octogonal régulier, uniforme comme les jours sans variété de la mort. Il l’a conçu riche, soyeux comme sa chevelure, profond et calme comme ses yeux ; unique, reposant, plein de mystères et de lumières comme son cœur amoureux. Il l’avait élevée au-dessus de toute créature humaine, jusqu’à ce trône de Delhi, l’un des plus puissants de la terre, et le lieu de son repos se dresse solitaire, resplendissant, dominant le cours de la rivière Jumna, les plaines fertiles et fleuries qui durent tant de fois charmer son regard éteint. Dans sa gaine de gemmes précieuses, ses pieds sont tournés vers la cité d’Agra où elle régna, un écran de marbres ajourés enserre son cercueil comme jadis l’isolaient du monde les grilles d’ivoires entrelacées de son zénana. Elle aimait le jeu des eaux vives, les chants d’oiseaux les fleurs, les parfums, la fraîcheur et la quiétude ; elle dort, dans un jardin de roses, épais de buissons capiteux, qui mirent leur verdure dans l’eau claire des lagunes, où viennent boire les perruches babillardes. L’ardente passion de son époux fut le soleil de sa destinée et la mort a intensifié son étreinte ; dans le tombeau merveilleux sa cendre mêlée à la sienne, semble vouloir perpétuer d’un baiser immortel leur union oubliée.

À la tombée du jour, des femmes voilées, des enfants silencieux, quelque musulman fervent, glissent comme des ombres blanches et hautaines vers la tombe de la « bien-aimée » ; avec le soleil couchant, leur prière simple monte, comme un encens, vers celle, dont la bonté fit graver parmi les arabesques de mosaïques de son sanctuaire, les saintes paroles du Coran : « Que celui qui n’a pas la Charité n’entre pas dans le jardin d’Allah ».