À travers le Grönland/30

La bibliothèque libre.
Traduction par Charles Rabot.
Librairie Hachette et Cie (p. 393-395).
APPENDICE[1]




I. — Constitution géologique


La plus grande partie du Grönland est constituée par des roches primitives traversées par des filons de roches éruptives. Sur quelques points se rencontrent des formations stratifiées appartenant aux temps crétacés et tertiaires. Leurs assises contiennent de magnifiques empreintes fossiles qui témoignent d’une modification profonde de climat survenu dans le cours des âges.


II. — Résultats scientifiques de l’expédition


Une carapace continue de glace couvre le Grönland, tout au moins jusqu’au 75e degré de latitude, contrairement à diverses hypothèses émises par d’illustres savants.

M. Nansen fait observer qu’il a rencontré defc bruants des neiges a 120 kilomètres environ dans l’intérieur des terres, à la même distance de la côte que les Lapons de l’expédition Nordenskiöld avaient aperçu des corbeaux. De cette rencontre, le célèbre explorateur suédois avait conclu à l’existence d’une terre libre de glaciers dans l’intérieur du Grönland. La région où M. Nansen a vu des oiseaux était entièrement recouverte par l’inlandsis, et, à son avis, M. Nordenskiöld a tiré une conclusion beaucoup trop hardie de la présence des corbeaux sur le glacier.

La Terre de Grinnell n’est point recouverte d’une carapace de glace ; aussi ne pouvons-nous pas affirmer que le Grönland septentrional est occupé par un inlandsis comme pour la partie méridionale de ce pays. Cetle carapace de glace s’étend toutefois très loin vers le nord ; nous savons, en effet, qu’entre le 79e et le 80e de latitude nord se trouve l’énorme glacier de Humboldt, et un pareil courant de glace ne peut être alimenté que par un immense réservoir glaciaire.

La coupe de l’inlandsis reproduite dans le corps du volume, p. 308, donne une idée précise de l’aspect du pays. Elle a été dressée d’après les nombreuses observations barométriques prises par M. Nansen et calculées par le professeur Mohn. Le point culminant que nous avons atteint est situé à environ 2 718 mètres au-dessus de la mer. Au nord de la région où l’inlandsis a été traversé par M. Nansen, le glacier s’élève par des pentes douces et doit, dans cette direction, atteindre une plus grande altitude.

Comme on peut le voir sur la coupe, l’inlandsis s’élève sur les deux versants, principalement sur celui de l’est, par des pentes rapides, puis au sommet présente une surface relativement plane.

Le point culminant atteint par M. Nansen setrouve a 180 kilomètres d’Umivik et à 270 de l’Ameralikfjord. L’extrémité supérieure de cette baie se trouve à 90 kilomètres de la pleine mer, tandis qu’Umivik n’en est séparé que par une distance de 20 kilomètres ; la ligne de faîte est donc située à 200 kilomètres de la mer vers l’est et a 560 vers l’ouest.

La coupe de l’inlandsis dans la région traversée par l’expédition est celle d’un dôme s’élevant des deux côtés dans la direction du nord.

L’expédition n’observa a la surface de l’inlandsis qu’un très petit nombre de crevasses. À 15 kilomètres de la côte orientale elle n’en rencontra plus, et vers l’ouest elle trouva les premières fentes à 40 ou 45 kilomètres de la côte. La région parcourue par M. Nansen n’était pas non plus sillonnée de torrents plus ou moins larges, comme les explorateurs précédents en avaient rencontré dans d’autres régions. À 25 ou 50 kilomètres seulement de la côte ouest, il rencontra de l’eau courante à la surface de l’inlandsis, et a 15 kilomètres du rivage oriental il n’en observa plus.

M. Nansen ne trouva point sur la partie est du glacier de cette poussière baptisée par Nordenskiold du nom de kryokonite. Sur le versant ouest, à une distance d’une trentaine de kilomètres de la côte, il en signale seulement une petite quantité. Les nappes d’eau dans lesquelles est entassée cette poussière étaient alors gelées. Nulle part, sauf sur la pente terminale de l’ouest, on ne rencontra de blocs erratiques ni de moraines.


OBSERVATIONS MÉTÉOROLOGIQUES


Température. — D’après les calculs du professeur Mohn, la température se serait probablement abaissée à — 45 degrés dans les nuits du 12 au 14 septembre. Du 11 au 16 septembre, alors que l’expédition se trouvait au point culminant de l’inlandsis ou un peu à l’ouest de ce point, la température moyenne fut de — 50 degrés à — 54 degrés. Elle setrouvait ainsi plus basse de 20 degrés que les prévisions ne le faisaient supposer.

Réduite au niveau de la mer, c’est la plus basse température moyenne qui eût jamais été observée. Elle serait de — 15 degrés, alors qu’à la Terre de Grinnell on en a noté seulement pour le mois de septembre — 9 degrés. Il y avait ainsi, d’après le professeur Molin, un second pôle du froid arctique dans l’intérieur du Grönland.

La variation diurne atteignait 20 à 25 degrés. Alors que le thermomètre descendait la nuit à — 45 degrés, le jour il s’élevait, lorsque le temps était clair, à — 20 degrés.

Sur l’inlandsis l’air était très humide. Le degré hygrométrique variait de 90 à 100 pour 100. Sur la côte occidentale, sous l’influence du fœhn, il s’abaissa à 79 pour 100. Pendant les quarante jours qu’a duré l’expédition, un jour il tomba de la grêle, et onze jours de la neige ou plutôt de fines aiguilles de glace.

Ainsi qu’il a été dit plus haut, il ne se produit à la surface de l’inlandsis qu’une très faible ablation. Parmi les causes qui empochent le glacier d’acquérir d’année en année une plus grande puissance, M. Nansen cite l’évaporation, la chaleur du sol, l’action du vent, et enfin l’écoulement par les grands glaciers qui débouchent au fond des fjords. D’après M. Nansen, les âsar[2] auraient été formés par des torrents le long des bords des glaciers.

  1. M. Nansen consacre un chapitre à la description des formes du terrain et des changements de climat survenus au Grönland depuis les temps géologiques. Nous renvoyons pour toute cette partie à la description complète qu’en donne la Seconde Expédition suédoise au Grönland, traduite par nous et publiée par la librairie Hachette, chapitre VI, p. 226 et suivantes, chapitre VII, p. 306 et suivantes. Cette raison nous a engagé à résumer ces longues discussions. M. Nansen expose ensuite les diverses théories émises par les géologues pour expliquer l’apparition de la période glaciaire. (Note du traducteur.)
  2. Longues chaînes de collines constituées de débris détritiques particulières à la Suède et dont l’origine est énigmatique.