École des arts et métiers mise à la portée de la jeunesse/L’Imprimeur en taille-douce

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Anonyme
Traduction par T. P. Bertin.
L. Duprat-Duverger, libraire (2p. 40-49).


L’IMPRIMEUR
EN TAILLE-DOUCE.





Les principaux objets nécessaires à cette profession consistent dans un gril, de l’encre et une presse qui diffère de celle employée par l’imprimeur en caractères en ce qu’elle est pourvue de cylindres. L’art de l’imprimerie en taille-douce doit son origine à un hasard. En 1460 un orfévre de Florence versa un jour du soufre fondu sur une planche gravée, et trouva l’impression exacte de la gravure sur le soufre quand il fut refroidi ; il essaya d’en faire autant sur des plaques d’argent avec du papier mouillé, en le passant au rouleau, et ce procédé eut tout le succès qu’il désirait ; de là le principe des presses à cylindre. Cet art ne fut pratiqué en Angleterre que sur la fin du règne de Jacques Ier.

L’Imprimeur en taille-douce.

La presse à cylindre peut se distinguer en deux parties : le corps et le train. Le corps consiste en deux jumelles ou deux piliers joints à leurs extrémités par des traverses, et placées perpendiculairement sur un soc en bois qui soutient toute la presse. De ce pied ou soc s’élèvent quatre autres pièces perpendiculaires jointes encore par des traverses ; ce train sert à soutenir un plateau de bois uni, sur lequel on place la planche gravée.

Les jumelles supportent deux cylindres dont les extrémités, qui sont beaucoup plus petites que le corps, se nomment tenons, et tournent dans les jumelles entre deux pièces de bois taillées en demi-lunes, et doublées de fer poli, pour qu’elles ne s’usent pas par le frottement.

Les espaces laissés par les tenons sont remplis avec des cartons que l’on peut lever et baisser à volonté pour ne laisser que la place nécessaire au passage de la table chargée de la planche, du papier et des étoffes, qui consistent en une peau de cygne et un morceau de drap très-large.

À l’un des tenons du cylindre supérieur est attachée une croisée, qui consiste en deux leviers dont les bras donnent le mouvement à ce cylindre ; celui-ci le communique au cylindre inférieur, et par ce moyen la table est tirée en avant et en arrière.

La meilleure encre qui s’emploie par cette profession se tire de Francfort-sur-le-Mein, et on la nomme noir de Francfort ; elle vient en pains. L’imprimeur en taille-douce la broie avec une molette sur un marbre ; il se sert aussi dans cette partie de son état d’un couteau à palette.

La presse et l’encre étant préparées, l’imprimeur prend une petite quantité de cette encre sur un tampon fait de chiffons, avec lequel il encre toute la surface de sa planche, pendant qu’elle est sur un gril chauffé par du poussier de charbon[1].

Lorsque la planche est suffisamment encrée, l’imprimeur l’essuie d’abord avec un chiffon, puis avec la paume de la main, qu’il a frottée auparavant avec du blanc d’Espagne.

Le grand art de l’imprimeur en taille-douce consiste à bien essuyer la planche sans ôter l’encre de la gravure. Lorsque la planche a reçu ces préparations, on la place sur la table de la presse ; on étend sur la planche la feuille de papier que l’on a eu soin d’humecter auparavant ; on appuie sur les bras des leviers, et par ce moyen la planche et tout ce qu’elle supporte passe entre les cylindres ; elle est, comme nous l’avons dit, couverte d’une peau de cygne et d’un morceau de drap très-large. Les leviers, en pressant également et avec beaucoup de force, contraignent le papier d’entrer dans les traits du burin dont ils enlèvent l’encre.

Il est des planches auxquelles on est obligé d’appliquer deux tours de presse ; un seul tour suffit à d’autres lorsqu’elles ne sont pas gravées profondément, ou lorsque la gravure n’a besoin que d’une teinte légère.

Dès que le tirage des gravures dont on a besoin est terminé, on humecte d’huile les cuivres afin qu’ils ne s’oxident pas, et on les range de côté pour de nouvelles impressions.

Une gravure profondément gravée peut tirer trois à quatre mille estampes, et on fait ensuite retoucher la planche pour de nouvelles éditions.

Le comte Stanhope a, dit-on, introduit un tel perfectionnement dans l’art de la gravure, qu’un imprimeur en taille-douce peut obtenir sans retouche dix mille exemplaires d’une gravure.

De cette manière les tableaux et les dessins des grands maîtres se multiplient à un nombre infini, et les amis des arts sont à même, dans toutes les parties du globe, de jouir des avantages dont leur situation paraissait les avoir privés.

Les impressions faites par l’imprimeur en taille-douce se nomment estampes, images, et l’on dit familièrement et figurément d’une belle personne, mais qui n’a guère d’action, qui n’est guère animée, que c’est une image, une belle image. On dit encore proverbialement d’un enfant fort retenu et fort posé, qu’il est sage comme une image. Enfin on dit par plaisanterie à quelqu’un : Vous avez bien fait, vous aurez une image.

  1. Le gril, le tampon, etc., sont représentés au côté gauche de la vignette qui accompagne cette description.