École des arts et métiers mise à la portée de la jeunesse/L’Ouvrière en dentelles

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Anonyme
Traduction par T. P. Bertin.
L. Duprat-Duverger, libraire (1p. Gravure-83).

L’Ouvrière en Dentelles.


L’OUVRIÈRE
EN DENTELLE.





L’ouvrière en dentelle est représentée dans la vignette travaillant en plein air, ce qui dans ce pays offre un spectacle assez curieux pendant les mois d’été. La dentelle ne se tisse pas, et elle n’exige ni le secours de la navette ni celui de la trame ; elle se fait avec de la soie ou du fil, que l’on roule sur de petites bobines ou fuseaux de bois, d’os, d’ivoire et de buis, de la grosseur du petit doigt.

Le patron d’après lequel la dentelle se fait est dessiné sur un morceau de papier fort ou de parchemin, percé de trous d’épingles et appliqué sur un coussin que l’ouvrière tient sur ses genoux. Toutes les extrémités du fil sont attachées ensemble, et la faiseuse de dentelle les entrelace de différentes manières les unes sur les autres, autour d’épingles qui sont piquées dans les trous du modèle ; elle déplace ces épingles pour les enfoncer dans d’autres trous du patron, à mesure que l’ouvrage s’avance, et produit par ce moyen cette multiplicité d’yeux ou de petites ouvertures qui donnent à la dentelle le dessin indiqué.

Cette opération exige beaucoup d’art et d’intelligence ; c’est néanmoins un travail fort ennuyeux. Quand le fil est très-fin et que le travail est compliqué il exige un degré de patience que l’on espérerait en vain des personnes douées de quelque aisance. La fabrication des dentelles est en conséquence abandonnée à des femmes ou des filles indigentes, qui, par leur talent et leur dextérité, élèvent la valeur des matières premières d’un prix modique à des sommes considérables ; mais le temps employé à ce genre de fabrication est toujours en proportion du mérite de l’ouvrage, de sorte que, tout bien considéré, ce travail rapporte fort peu de bénéfice.

L’origine de la fabrication des dentelles n’est pas exactement connue ; quelques écrivains la croient la même chose que ce que les auteurs latins appelaient l’art phrygien ; mais cet art consistait plutôt dans un travail à l’aiguille que dans l’espèce de tricot dont se compose la dentelle.

Les bordures cousues sur le drap et sur la tapisserie dont parlent les anciens étaient une espèce de dentelle faite à l’aiguille ; celle-ci est nécessairement d’une étoffe beaucoup plus ancienne que celle faite au fuseau. Il existe une infinité d’échantillons de la première dans des meubles d’église ; elle était, suivant toutes les apparences, l’ouvrage des nones et des femmes opulentes, qui consacraient leurs momens à manier l’aiguille par des motifs religieux ; mais si la dentelle eût été un objet mieux fabriqué en grand et répandu dans le commerce, il en eût été indubitablement question dans les écrits des auteurs contemporains.

Une fabrique de dentelles s’établit à Paris sous les auspices du célèbre Colbert, dans l’année 1666 ; mais cette dentelle se faisait à l’aiguille, et ressemblait à ce que nous appellons point. Les Allemands néanmoins réclament l’honneur d’avoir inventé les premiers l’art de faire de la dentelle avec un coussin et des fuseaux ; ils attribuent cette découverte à Barbara, femme d’Adrien Uttman, qui mourut vers l’an 1575. À cette époque les mines de l’Allemagne étaient beaucoup moins productives qu’elles ne le sont depuis plusieurs siècles ; les femmes et les filles des mineurs se mirent à faire de la dentelle. La modicité du prix de la main-d’œuvre mit à même de la vendre à si bon compte qu’elle devint à la mode, et qu’elle fit même tomber celle de porter le point d’Italie fait à l’aiguille.

La dentelle la plus estimée est celle qui se fait à Bruxelles, Gand, Anvers et Valenciennes. Ce genre d’industrie fait beaucoup de bien aux pays environnans, et porte les fermiers à cultiver du lin dans les terres les moins fertiles de cette contrée : il se faisait encore beaucoup de dentelles autrefois en France dans les couvens.

En Angleterre la fabrique des dentelles est portée à une très-grande perfection ; dans le comté de Buckingham particulièrement, dans la ville et le voisinage de Newportpagnel, qui est une espèce de marché pour cette branche de commerce, et qui en tire le plus grand parti.

Un très-petit nombre de proverbes est sorti de cette profession ou des instrumens qu’elle emploie ; cependant on dit proverbialement avoir des jambes de fuseau, des bras de fuseau, pour dire avoir les jambes extrêmement menues.