École des arts et métiers mise à la portée de la jeunesse/Le Fabricant de peignes

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Anonyme
Traduction par T. P. Bertin.
L. Duprat-Duverger, libraire (1p. 50-62).


LE
FABRICANT DE PEIGNES.





L’usage des peignes est trop connu pour qu’il soit besoin d’en donner ici la description. Ils se font en général de corne de bœuf ou de dents d’éléphant et de rhinocéros ; on en fait aussi d’écailles, de buis et de houx. Voici la manière de préparer la corne pour en fabriquer les peignes.
Le Fabricant de Peignes.

On en scie le bout, puis on l’expose à l’action d’un feu de bois, ce qui s’appelle griller, et elle devient aussi souple que du cuir ; dans cet état on l’entr’ouvre d’un côté, et on la presse entre deux plaques de fer ; on la plonge ensuite dans une auge remplie d’eau, dont elle sort dure et plate.

Le fabricant de peignes la scie alors dans une longueur proportionnée à celle des peignes dont il a besoin. Pour former les dents de ces peignes on fixe chaque feuille de corne dans un outil appelé âne, représenté debout dans la vignette, derrière l’ouvrier. Le fabricant de peignes se met à cheval pour travailler, sur un banc triangulaire ou établi en forme de prie-dieu, et sous lui est placé l’âne. À la mâchoire supérieure de cet âne est une corde qui descend jusqu’à la hauteur des pieds de l’ouvrier ; il lâche ou serre cette corde avec son pied, selon qu’il en est besoin.

Les dents des peignes se taillent avec une scie et se finissent à la lime ; une plus grosse lime, appelée râpe et semblable à celles suspendues sous la fenêtre représentée dans la vignette, sert à réduire la corne à son épaisseur nécessaire ; lorsque les peignes ont reçu la forme qu’il leur convient on les polit avec du charbon et de l’eau ; ils reçoivent ensuite leur dernier fini de la poudre de pierre pourrie.

Les procédés employés pour faire des peignes d’ivoire doivent être à peu près les mêmes que ceux que nous venons de décrire, si ce n’est qu’il faut commencer par les séparer en feuilles très-minces. Le meilleur ivoire vient des îles de Ceylan et d’Archand, dans les Indes orientales, attendu qu’il a la propriété de ne jamais jaunir ; l’ivoire qui provient de ce pays est en conséquence beaucoup plus cher que celui des autres parties du globe.

Après avoir décrit la manière ordinaire de faire les peignes nous croyons devoir informer le lecteur qu’il y a environ huit ans M. Bundy, de la ville de Cambden, a obtenu une patente pour tailler les peignes avec une machine.

On doit regarder comme une circonstance particulière qu’avant cette époque on n’avait pratiqué dans ce pays, pour tailler les dents de peignes, aucune autre méthode que l’emploi d’une scie grossièrement fixée à un manche de bois, et dirigée par la main de l’homme. C’est avec ce moyen cependant que se taillent les peignes d’ivoire superfins, qui ont cinquante à soixante dents par pouce. La machine à tailler les peignes de M. Bundy est très-expéditive ; les dents de deux peignes sont sciées dans l’espace de trois minutes ; on termine ensuite la pointe de ces peignes en les appliquant à un arbre ou axe de roue pourvu d’un découpoir armé de dents taillées en biseau.

On se sert beaucoup de peignes d’écailles, et il est des méthodes de teindre la corne de manière à lui faire imiter l’écaille ; en voici une des plus usitées. Il faut d’abord aplatir la corne que l’on veut teindre, et la couvrir d’une pâte faite de deux parties de chaux vive et d’une de litharge, à laquelle on donne la consistance nécessaire avec de l’eau de savon ; il faut étendre cette pâte sur toutes les parties de la corne, excepté sur celles que l’on veut laisser transparentes, pour lui donner de la ressemblance avec l’écaille. On laisse la corne dans cet état jusqu’à ce qu’elle soit entièrement sèche, et alors on en ôte la pâte avec une brosse. Il faut du goût et du jugement pour disposer la pâte de manière à former une variété de parties transparentes de différentes grandeurs et de différentes formes qui imitent la nature ; on a besoin aussi de demi-transparences ; elles se font en mêlant du blanc d’Espagne avec une partie de la pâte pour en affaiblir l’effet dans certaines places ; il se fera alors des taches d’un brun rougeâtre qui augmenteront la beauté de l’ouvrage. La corne ainsi nuancée sert à fabriquer des peignes et il en est de cette sorte que l’on vend souvent pour de l’écaille.

Les peignes servent non seulement à peigner les cheveux et à les mettre en ordre, mais encore à orner la tête ; on les enrichit quelquefois de pierres de couleur, de perles, et même de diamans ; ces peignes affectent différentes formes et servent à tenir les cheveux relevés quand les dames se coiffent sans bonnet. On peut donc faire des peignes de tous les prix, depuis celui de quelques pences (2 sols) jusqu’à celui de la somme la plus considérable.

L’ouvrier représenté dans la vignette est occupé à tailler les dents d’un peigne ; à sa gauche est un banc avec des peignes entièrement finis ; on voit par terre des cornes avec lesquelles il les a fabriqués, et à gauche, dans un coin, est un tas de copeaux et de rognures de cornes.

La corne dont on fait les peignes est transparente lorsqu’elle est mince, et on l’a souvent employée en place de verre pour des carreaux de vitre. Quand elle a été chauffée au feu on lui fait prendre toutes les formes que l’on veut, et on en fait des colifichets de toutes les espèces. L’analise a démontré que l’écaille de tortue consiste en membranes très-minces appliquées les unes sur les autres ; et qu’elle ressemble beaucoup par sa nature aux ongles des pieds et des doigts de l’homme.

Du temps de Bacon les vieillards se peignaient les cheveux avec des peignes de plomb pour les rendre d’un noir plus foncé. On a vu des femmes à chevelure rousse employer le même moyen pour changer la nuance de leurs cheveux ; mais tous ces expédiens manquent leur but, parce que le plomb perd promptement sa couleur à l’air en s’oxidant. Le meilleur moyen de colorer les cheveux en noir est d’employer du nitrate d’argent ou de la dissolution d’argent dans de l’acide nitrique (eau-forte) ; cette substance liquide désorganise promptement les matières animales. Si l’on en met sur les cheveux ou sur les favoris elle les teint promptement en un noir qui ne s’efface jamais ; mais il faut se servir avec beaucoup de précaution de cette dissolution, qui cautérise la peau. Pour éviter tout accident il faut étendre le nitrate d’argent dans une quantité convenable d’eau distillée.

La profession de fabricant de peignes, les objets qu’il fabrique et les instrumens qu’il emploie, ont donné lieu au proverbe suivant : on dit proverbialement d’un homme prompt et violent qu’il tuerait un mercier pour un peigne, pour dire que quand il est en colère il s’emporte avec excès pour peu de chose.