École des arts et métiers mise à la portée de la jeunesse/Le Tailleur

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Anonyme
Traduction par T. P. Bertin.
L. Duprat-Duverger, libraire (1p. Gravure-150).

Le Tailleur.


LE TAILLEUR.





Le tailleur fait des vêtemens pour les hommes ainsi que pour les enfans, et des redingottes pour les femmes. Il y a toujours deux sortes d’ouvriers chez un tailleur qui est très-occupé, savoir, un premier garçon, qui prend les mesures des habits des personnes pour lesquelles il travaille, coupe le drap, et porte chez les pratiques les vêtemens quand ils sont faits ; les autres sont des garçons ordinaires qui sont assis les jambes croisées sur un établi, comme l’homme représenté dans la vignette près de la fenêtre. Il en est très-peu de ces derniers qui sachent couper les habits qu’ils sont chargés de coudre. Les outils qu’exige le métier de tailleur sont en très-petit nombre, et fort peu dispendieux ; ils consistent en une paire de gros ciseaux pour celui qui coupe, et pour les autres dans une paire de ciseaux ordinaires, un dé et des aiguilles de différentes grandeurs ; leur dé a cela de particulier qu’il est ouvert des deux bouts. Indépendamment de ces outils, le tailleur a besoin de longues bandes de papier ou de parchemin, qui lui servent de mesure, et d’un fer à repasser, appelé carreau en France, et oie en Angleterre ; c’est avec ce fer, quand il est chaud, qu’il rabat les coutures pour donner plus de grâce à son ouvrage : le support de ce carreau est ordinairement un fer à cheval très-brillant. Devant le premier garçon ou le maître, car chez les tailleurs qui n’ont pas beaucoup d’ouvrage le maître coupe, prend la mesure de ses pratiques et leur porte lui-même leurs habits, est un grand coffre ouvert ; ce coffre contient du bougrand, du ruban, du fil, du cordonnet, des boutons, etc., dont chaque tailleur doit être bien fourni, et dont il retire de très-grands profits. Sur la tablette est une pièce de drap propre à faire des habits, avec un livre d’échantillons.

Le tailleur achète ces étoffes du marchand de draps, qui tire lui-même toutes ses marchandises de la factorie de Blackwellhall, ou de tous les marchands de draps établis dans la partie occidentale d’Angleterre. Il se vend à la foire de Bristol, qui se tient en septembre, une quantité prodigieuse de draps à grand aunage ; cette foire dure quatorze jours, et des marchands de draps y louent à cet effet des boutiques.

Le tailleur traite aussi avec le marchand de toiles pour des gilets de fantaisie et autres objets d’habillement ; ainsi qu’avec le marchand mercier pour le fil et les objets de détail dont nous avons parlé ; mais lorsqu’il fait des habits pour les militaires il faut qu’il aille chez le galonnier pour y prendre les ornemens dont il a besoin.

Dans les temps d’un deuil général, à la mort d’un membre de la famille du souverain, les garçons tailleurs en Angleterre gagnent le double de leurs gages ; mais aussi le nombre des heures du travail est augmenté.

Un auteur qui a écrit sur l’art du tailleur dit que les ouvriers de ce genre doivent avoir la vue prompte à saisir la coupe d’une manche, la taille d’un pan d’habit ou la forme d’une nouvelle mode quand il a les patrons devant lui, mais qu’un bon tailleur doit la saisir au passage, dans une voiture, ou dans l’espace qui existe entre la porte d’une maison et la portière d’un carrosse ; non seulement il doit savoir attraper la coupe des gens biens faits, mais donner une belle taille à ceux qui ne l’ont pas reçue de la nature ; il doit faire en sorte que les habits aient un air dégagé malgré l’air gauche de celui qui les porte ; sa main et sa tête doivent être d’accord, et il faut que son ouvrage soit élégamment fini.

La laine dont se fait le drap est une branche importante des fabriques de la Grande-Bretagne. Les Anglais sont si jaloux de leur laine, qu’indépendamment des précautions qu’ils prennent pour qu’on en use pas d’autre dans leur pays, ils la veulent vendre eux-mêmes et la transporter dans les pays qui en forment des demandes.

Il y a longtemps qu’on a rien changé à l’essentiel de l’habit complet en France et en Angleterre ; les modes s’exercent seulement sur les accessoires, comme sur les paremens et les boutons. Depuis une loi de Georges Ier les boutons en Angleterre doivent être ouvrés : cette loi a eu pour but de procurer de l’occupation à une foule d’ouvriers qui manquaient d’ouvrage ; et personne ne peut porter des boutons de la même étoffe que les habits sans encourir une forte amende et la saisie des vêtemens.

Les instrumens du tailleur sont la criquette, le carreau et le patira.

Le carreau, dont nous avons déjà parlé, est entièrement de fer, plus grand du double et plus épais qu’un fer à repasser ; il s’emploie toujours chaud. On connaît le degré de chaleur qu’il doit avoir en l’approchant de la joue, ou bien en le passant sur un morceau d’étoffe qu’il ne doit pas roussir. Le carreau sert à unir et à rendre le premier lustre à l’étoffe chiffonnée.

La criquette est aussi de fer carré ou triangulaire ; elle a une rainure sur chacune de ses faces, et l’on y introduit la boutonnière que l’on veut soumettre à l’action du carreau.

Le patira est de laine ; le tailleur peut le fabriquer lui-même, en cousant l’une à l’autre deux lisières de drap, dont il forme une bande carrée de la longueur d’un pied et demi ou environ ; on s’en sert pour unir les galons lorsqu’ils sont cousus ; on place dessus le patira l’étoffe avec le galon en-dessous, et l’on met du papier entre le galon et le patira ; l’on presse ensuite à l’envers avec le carreau.

La profession de tailleur, ses outils et les étoffes qu’il emploie ont donné lieu aux expressions proverbiales suivantes :

On dit figurément et proverbialement qu’un homme peut tailler en plein drap quand il a amplement et abondamment ce qui peut servir à l’exécution d’un dessein, d’un plan, d’un projet.

On dit encore proverbialement au bout de l’aune faut le drap, pour dire qu’il n’y a rien dont on ne trouve la fin, que les choses vont jusqu’où elles peuvent aller.

On dit proverbialement l’habit ne fait pas le moine pour dire que l’on ne doit pas juger sur les apparences, par les dehors.