Éléments de la philosophie de Newton/Édition Garnier/Partie 2/Chapitre 12

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CHAPITRE XII.
Nouvelles découvertes sur la cause des couleurs, qui confirment la doctrine précédente. Démonstration que les couleurs sont occasionnées par l’épaisseur des parties qui composent les corps, sans que la lumière soit réfléchie de ces parties. — Connaissance plus approfondie de la formation des couleurs. Grandes vérités tirées d’une expérience commune. Expériences de Newton. Les couleurs dépendent de l’épaisseur des parties des corps, sans que ces parties réfléchissent elles-mêmes la lumière. Tous les corps sont transparents. Preuve que les couleurs dépendent des épaisseurs, sans que les parties solides renvoient en effet la lumière.

Par tout ce qui a été dit jusqu’à présent, il résulte donc que toutes les couleurs nous viennent du mélange des sept couleurs primordiales que l’arc-en-ciel et le prisme nous font voir distinctement[1].

Les corps les plus propres à réfléchir des rayons rouges, et dont les parties absorbent ou laissent passer les autres rayons, seront rouges, et ainsi du reste. Cela ne veut pas dire que les parties de ces corps réfléchissent en effet les rayons rouges ; mais qu’il y a un pouvoir, une force jusqu’ici inconnue, qui réfléchit ces rayons d’auprès des surfaces et du sein des pores des corps.

Les couleurs sont donc dans les rayons du soleil, et rejaillissent à nous d’auprès des surfaces, et des pores, et du vide. Cherchons à présent en quoi consiste le pouvoir apparent des corps de nous réfléchir ces couleurs, ce qui fait que l’écarlate paraît rouge, que les prés sont verts, qu’un ciel pur est bleu : car, dire que cela vient de la différence de leurs parties, c’est dire une chose vague qui n’apprend rien du tout.

Un divertissement d’enfant, qui semble n’avoir rien en soi que de méprisable, donna à M. Newton la première idée de ces nouvelles vérités que nous allons expliquer. Tout doit être pour un philosophe un sujet de méditation, et rien n’est petit à ses yeux. Il s’aperçut que dans ces bouteilles de savon, que font les enfants, les couleurs changent de moment en moment, en comptant du haut de la boule à mesure que l’épaisseur de cette boule diminue, jusqu’à ce qu’enfin la pesanteur de l’eau et du savon qui tombe toujours au fond rompe l’équilibre de cette sphère légère, et la fasse évanouir. Il en présuma que les couleurs pourraient bien dépendre de l’épaisseur des parties qui composent les surfaces des corps, et, pour s’en assurer, il fit les expériences suivantes.

Que deux cristaux se touchent en un point : il n’importe qu’ils soient tous deux convexes[2] ; il suffit que le premier le soit, et qu’il soit posé sur l’autre en cette façon.

Qu’on mette de l’eau entre ces deux verres (figure 40) pour rendre plus sensible l’expérience, qui se fait aussi dans l’air ; qu’on presse un peu ces verres l’un contre l’autre, une petite tache noire transparente paraît au point du contact des deux verres : de ce point, entouré d’un peu d’eau, se forment des anneaux colorés dans le même ordre et de la même manière que dans la bouteille de savon ; enfin, en mesurant le diamètre de ces anneaux et la convexité du verre, Newton détermina les différentes épaisseurs des parties d’eau qui donnaient ces différentes couleurs ; il calcula l’épaisseur nécessaire à l’eau pour réfléchir les rayons blancs : cette épaisseur est d’environ quatre parties d’un pouce divisé en un million, c’est-à-dire quatre millionièmes d’un pouce ; le bleu azur et les couleurs tirant sur le violet dépendent d’une épaisseur beaucoup moindre. Ainsi les vapeurs les plus petites qui s’élèvent de la terre, et qui colorent l’air sans nuages, étant d’une très-mince surface, produisent ce bleu céleste qui charme la vue.

D’autres expériences aussi fines ont encore appuyé cette découverte, que c’est à l’épaisseur des surfaces que sont attachées les couleurs.

Le même corps qui était vert quand il était un peu épais est devenu bleu quand il a été rendu assez mince pour ne réfléchir que les rayons bleus, et pour laisser passer les autres. Ces vérités, d’une recherche si délicate et qui semblaient se dérober à la vue humaine, méritent bien d’être suivies de près ; cette partie de la philosophie est un microscope avec lequel notre esprit découvre des grandeurs infiniment petites.

Tous les corps sont transparents, il n’y a qu’à les rendre assez minces pour que les rayons, ne trouvant qu’une lame, qu’une feuille à traverser, passent à travers cette lame. Ainsi, quand l’or en feuilles est exposé à un trou dans une chambre obscure, il renvoie par sa surface des rayons jaunes qui ne peuvent se transmettre à travers sa substance, et il transmet dans la chambre obscure des rayons verts, de sorte que l’or produit alors une couleur verte : nouvelle confirmation que les couleurs dépendent des différentes épaisseurs.

Une preuve encore plus forte, c’est que, dans l’expérience de ce verre convexe plan, touchant en un point ce verre convexe, l’eau n’est pas le seul élément qui, dans des épaisseurs diverses, donne diverses couleurs : l’air fait le même effet ; seulement les anneaux colorés qu’il produit entre les deux verres ont plus de diamètre que ceux de l’eau.

Il y a donc une proportion secrète établie par la nature entre la force des parties constituantes de tous les corps et les rayons primitifs qui colorent les corps ; les lames les plus minces donneront les couleurs les plus faibles ; et pour donner le noir, il faudra justement la même épaisseur, ou plutôt la même ténuité, la même mincité, qu’en a la petite partie supérieure de la boule de savon, dans laquelle on apercevait un petit point noir, ou bien la même ténuité qu’en a le point de contact du verre convexe et du verre plat, lequel contact produit aussi une tache noire.

Mais, encore une fois, qu’on ne croie pas que les corps renvoient la lumière par leurs parties solides, sur ce que les couleurs dépendent de l’épaisseur des parties. Il y a un pouvoir attaché à cette épaisseur, un pouvoir qui agit auprès de la surface ; mais ce n’est point du tout la surface solide qui repousse, qui réfléchit. Cette vérité sera encore plus visiblement démontrée dans le chapitre suivant, qu’elle n’a été prouvée jusqu’ici. Il me semble que le lecteur doit être venu au point où rien ne doit plus le surprendre ; mais ce qu’il vient de voir mène encore plus loin qu’on ne pense, et tant de singularités ne sont, pour ainsi dire, que les frontières d’un nouveau monde.


  1. Voyez page 485.
  2. Voltaire entend deux lentilles. (D.)